Othman Bensasi sur RFI: «les Benghazis en ont marre d’avoir des forces militaires chez eux»

La Libye entame son deuxième jour de deuil national.Un recueillement décrété par l'Assemblée, après les violences de samedi 8 juin à Benghazi. Selon un dernier bilan, au moins 31 personnes ont été tuées et plus de 100 autres blessées dans des affrontements entre une brigade d'anciens rebelles et des manifestants. Les violences ont éclaté quand des habitants ont voulu chasser de la ville la milice « Bouclier de Libye ». Othman Bensasi est un ancien membre du Conseil national de transition, aujourd’hui conseiller politique du Premier ministre Ali Zeidan. Pour lui, les islamistes ne sont pas les seuls à avoir joué un rôle dans ces affrontements.

Les affrontements de samedi dernier ont été très violents à Benghazi. Plus de 30 morts. Qu’est-ce qui s’est passé exactement ?

Il y a eu beaucoup de morts, ce que nous regrettons,... , il s’agit de révolutionnaires qui se connaissent, qui ont fait la guerre presque ensemble contre l’ancien régime et malheureusement ça s’est mal passé.

Donc, il y a ce que l’on appelle le « Bouclier ». C’est une force des révolutionnaires qui dépend de l’armée libyenne, de l’état-major – le bouclier est dans plusieurs casernes en Libye, à l’Est, à l’Ouest et au Sud également. Ils sont dans une caserne à Benghazi, et des civils sont partis les déloger, leur dire : il faut partir. Voilà ce qui s’est passé. La réponse a été violente (…). Ils ont tiré sur les populations. Il y a eu une trentaine de morts et presque 80 blessés.

Et la plupart de ces morts sont des civils qui affrontaient les miliciens de cette brigade ?

Tout à fait, oui. Malheureusement. C’est très grave pour celui qui a donné l’ordre.

Le chef de cette milice « bouclier de Libye » s’appelle Wissam Ben Ahmed et l’on dit que c’est un proche des islamistes. Est-ce que justement, les islamistes de Benghazi on joué un rôle dans ces affrontements ?

Vous savez, les choses se sont un petit peu mélangées. C’est très difficile de faire la part des choses. Le Bouclier est un petit peu mélangé. Nous avons des gens qui sont effectivement islamistes, mais d’autres qui ne le sont pas. C’est possible que le chef lui-même soit islamiste, mais cela ne veut rien dire. Ce n’est pas ça la raison. La raison c’est que les Benghazis en ont marre d’avoir des forces militaires chez eux. Ils font des barrages, ils embêtent les gens. C’est la même chose ici à Tripoli. Il y a eu des manifestations avant-hier justement. Ils réclamaient le départ des milices armées qui sont à Tripoli.

Alors cette milice « Bouclier de Libye », elle est où maintenant ? Elle est toujours dans une caserne de Benghazi ?

Elle est toujours là-bas. Disons que beaucoup de militaires en sont partis. Mais il reste encore la caserne. Elle dépend toujours du bouclier. Ils sont toujours là.

Donc le problème n’est pas réglé alors !

Le problème n’est pas réglé. Actuellement il y a le chef d’état-major qui a déposé sa démission, hier, le lundi 10 juin. Et nous attendons le nouveau, celui qui va peut-être mettre de l’ordre, un petit peu dans tout ça.

C’est-à-dire qu’il faut un militaire à poigne ?

Il faut des gens, effectivement qui maîtrisent vraiment… des gens forts et diplomates. Vous savez, il faut toujours un peu de médiation et en même temps de la fermeté.

Beaucoup demandent aussi la démission du ministre de la Défense.

Effectivement, il y en a qui demandent sa démission. Mais c’est le Premier ministre qui va décider, je pense, ces jours-ci, comment résoudre (ce problème). Il y a eu une réunion hier à huis clos, avec le congrès et le gouvernement, avec le Premier ministre, le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur. Et je pense qu’il va y avoir des décisions à prendre ces jours-ci, parce qu’il faut résoudre ce problème, effectivement.

Alors justement, le congrès a donné deux semaines au gouvernement pour dissoudre toutes ces milices et les intégrer dans l’armée. Est-ce que cet ultimatum ne met pas la pression sur le Premier ministre ?

Deux semaines, je ne le pense pas car, hier, une autre déclaration fixait comme délai la fin de l’année. Ca a changé déjà !

Jusqu’à la fin 2013 ?

Jusqu’à la fin 2013. En deux semaines c’est très difficile de faire quoi que ce soit ici en Libye. Les gens travaillent lentement et on ne peut pas résoudre ce problème en deux semaines. Vous savez, il y a des groupes qui ont des budgets énormes, et donc l’armée les utilisent parce qu’on a besoin de ces forces pour la sécurité du pays. C’est eux qui font les check points. C’est eux qui contrôlent toutes les entrées et les sorties de toutes les grandes villes et toutes les régions. Et on ne peut pas dire du jour au lendemain : on arrête tout, et ensuite, il n’y a pas de relais. L’armée n’est pas encore construite et la police non plus. Donc comment voulez-vous faire ?

Vous dites que la milice « Bouclier de Libye » était la plus importante à Benghazi ces derniers mois. Quel rôle a-t-elle joué le 11 septembre dernier, lors de l’attaque du consulat américain et de la mort de l’ambassadeur des Etats-Unis à Tripoli ?

Ce n’est pas la plus importante ! Il y a d’autres milices aussi. Mais cette force n’était pas sur place pendant l’attaque du consulat américain. Sinon il n’y aurait pas eu ce problème. Parce qu’elle est considérée comme gardiens de l’Etat, ils ne peuvent pas attaquer une ambassade comme cela..

Autre grande région troublée ; le grand Sud libyen. Est-ce que vous confirmez que les jihadistes qui ont attaqué le nord du Niger le 23 mai dernier venaient justement du sud de la Libye ?

Si le Premier ministre a déclaré que «non», donc ce n’est pas le cas. Maintenant, il y a effectivement des gens qui passent par les frontières. Personne ne peut confirmer quoi que ce soit parce que c’est une passoire. C’est très très grand, c’est très vaste, et n’importe qui peut passer aujourd’hui dans un sens ou dans l’autre. Mais je pense que le Niger c’est aussi une politique, si vous voulez, parce qu’il y a des problèmes à l’intérieur du Niger. Alors, ils accusent un petit peu la Libye pour calmer les esprits. Mais parfois, cela vient aussi des opposants nigériens eux-mêmes à l’intérieur du pays.

Je ne sais pas comment ça se passe à l’intérieur du Niger. Mais il y avait des problèmes, même avant la révolution. Donc ce n’est pas lié directement à ces milices que nous avons au Sud de la Libye.

Le Niger n’est pas le seul à dire cela. Le président tchadien Idriss Deby dit exactement la même chose : la Libye est au bord de l’explosion. Elle risque de nous exploser à la figure. Tous les islamistes radicaux sont aujourd’hui en Libye, affirme-t-il.

Vous savez, Idriss Deby c’est un enfant de Kadhafi. Et donc vous comprenez bien qu’il n’est pas très, très content de ce qui se passe ici. Il n’y a plus de soutien de Kadhafi. Donc lui-même est sorti d’ici, il a fait ses études à Benghazi. C’est quelqu’un qu’on connaît très bien, qui est parti là-bas au Tchad. Il a pris le pouvoir, mais maintenant effectivement, il se trouve un petit peu menacé, parce qu’il n’a plus l’ami du Nord...

Je pense que cela va se résoudre ces jours-ci ou dans les semaines qui arrivent, parce qu’il aura des délégations de Libyens qui vont partir discuter avec les chefs d’Etat, que ce soit au Niger ou au Tchad. Et il me semble que c’est très urgent d’aller voir la question du problème sur le terrain.

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