Bien qu’il soit précurseur en matière d’aide au développement et implanté à ce titre en Afrique depuis de longue date, le Japon s’est vu ces dernières années ravir la vedette dans ce domaine par les pays émergents tant sur le plan économique que sur celui des médias. Dans un contexte de ruée générale sur le continent noir pour ses ressources naturelles, mais aussi pour son vaste marché en devenir avec une croissance moyenne de 5% au cours de la décennie écoulée, Tokyo a décidé de resserrer ses liens avec l’Afrique.
C’est le message que le Premier ministre japonais Shinzo Kobe n’a cessé de marteler à la quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernements africains qui se sont réunis du 1er au 3 juin, à Yokohama, près de Tokyo, dans le cadre de la cinquième édition de la Conférence de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad, selon son acronyme anglais). Lancée il y a deux décennies, cette rencontre quinquennale dont la date a été maintenue malgré les catastrophes naturelles et industrielles graves qu’a connues le pays du Soleil-Levant il y a deux ans, témoigne de l’importance stratégique que revêt l’Afrique aux yeux des décideurs politiques nippons.
La Déclaration de Yokohama
« Nous sommes déterminés à travailler ensemble pour accélérer la croissance, le développement durable et la réduction de la pauvreté », affirme la Déclaration de Yokohama qui fait le bilan des trois jours de réunions, de passages en revue des progrès et des défis et de professions de foi de part et d’autre pour approfondir la coopération nippono-africaine. A cet effet, l’Etat japonais s’est engagé à octroyer à l’Afrique une aide publique pour le développement (APD) de 10,6 milliards d’euros sur cinq ans.
L’effort consenti, ramené à une moyenne annuelle de plus de 2 milliards d’euros, représente une hausse substantielle par rapport au montant de l’APD japonaise destinée à l’Afrique qui était d’environ 1,5 milliards d’euros en 2012. Ces fonds s’inscrivent par ailleurs dans une enveloppe globale d’ « aides publiques et privées » équivalentes à 24,2 milliards d’euros. Une partie de cette aide, soit environ 5 milliards d’euros seront consacrés au développement des infrastructures dont les pays africains en plein boom économique ont besoin, notamment dans les domaines de l’énergie, des transports et de l’alimentation en eau, pour pouvoir continuer à diversifier leurs économies.
A l’ombre de la Chine
Ce vaste plan d’assistance a pour objectif affiché de « soutenir la croissance africaine », mais aussi de rattraper le retard des investissements japonais en Afrique par rapport à la Chine et autres nouveaux venus sur le continent africain. Si la Ticad, initiée au début des années 1990, au sortir de la guerre froide, dans un contexte de marginalisation du continent africain, demeure un modèle pour les forum pour le développement en Afrique, la Chine a su faire monter les enchères à coups de milliards, et à se rendre incontournable sur le continent noir.
Lors de son récent voyage en Afrique effectué à peine une semaine après son intronisation, le président chinois a réitéré l’engagement pris par son pays d’octroyer au cours des deux prochaines années des prêts à hauteur de 20 milliards de dollars. La Chine a également payé de sa poche les 200 millions de dollars qu’a coûté la construction par ses architectes du quartier général de l’Union africaine à Addis Abeba. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires des échanges sino-africains est cinq fois plus important que le commerce entre Tokyo et les pays africains, et quant aux investissements nippons en Afrique, ils sont huit fois inférieurs aux investissements directs étrangers en provenance de la Chine !
Rattraper le retard
Comment rattraper ce retard ? Déjà, avec un peu plus de 2 milliards d’euros par an, l’APD promise par le Japon pour la période 2013-2017 devra dépasser celle de la Chine, qui accorde moins de 1,5 milliards d’euros annuellement, d’après les organisations internationales. Pour les dirigeants africains qui se sont succédé à la tribune de Yokohama, ce sont les investissements privés qui seraient l’autre maillon faible de la coopération japonaise.
En effet, contrairement à ce qui s’est passé en Asie du Sud-est où le déploiement de la coopération nippone s’est fondé pour l’essentiel sur les investissements des entreprises privées, celles-ci se sont montrées jusqu’ici réticentes à s’implanter en Afrique. Pour cause d’instabilité politique, d’insécurité, mais aussi par crainte de nationalisation de leurs actifs. La déclaration finale publiée par le Sommet de Yokohama a tenu compte de ces craintes et propose d’améliorer « le climat pour les investisseurs, notamment le cadre légal ». Le gouvernement japonais a aussi annoncé, à l’occasion de la tenue de la Ticad V, une aide spécifique de 750 millions d’euros sur cinq ans pour aider à stabiliser la région du Sahel, dans l’espoir d’apaiser les inquiétudes des entreprises nippones qui ont été traumatisées par l’attaque terroriste sur un site gazier algérien où dix conseillers japonais ont trouvé la mort en janvier.
Avec l’accent mis sur des thèmes tels que « l’appropriation locale du développement » (concept cher à la coopération nippone), la paix, la gouvernance et les droits de l’hommes, la Ticad V a rappelé ce qui fait la singularité de ces rencontres quinquennales de Tokyo où le pays hôte et ses invités ne sont pas enfermés dans une relation donateur-récipiendaire, mais oeuvrent au contraire pour établir un partenariat mutuellement bénéfique. Les enjeux n’en sont pas moins économiques pour autant, surtout depuis que le Japon, échaudé par le désastre nucléaire de Fukushima, s’attache à garantir son approvisionnement en matières énergétiques. Les enjeux sont aussi diplomatiques, comme on a pu le voir lors du sommet de Yokohama où le Premier ministre japonais Shinzo Abe a profité de la présence des dirigeants africains pour leur demander de soutenir la candidature de Tokyo pour les JO de 2020 !