Etats-Unis: Barack Obama va-t-il tenir sa promesse de fermer Guantamo?

«Nos efforts systématiques pour démanteler les organisations terroristes doivent se poursuivre. Mais cette guerre, comme toutes les guerres, doit prendre fin». Les mots sont de Barack Obama, qui s’est exprimé à l’université de la Défense nationale, jeudi 23 mai. Pierre Guerlain, professeur de Civilisation américaine à l’université Paris Ouest-Nanterre, analyse comment ces promesses de changement de cap dans la stratégie antiterroriste du président des Etats-Unis peuvent, ou pas, se traduire en actes.

Plus de douze ans après les attentats du 11 septembre 2001, Barack Obama affirme qu’une « guerre perpétuelle contre le terrorisme serait perdue d’avance ». Peut-on parler de virage radical ?

Pierre Guerlain : Il y a un virage rhétorique tout à fait important, effectivement. Mais radical, c’est quelque chose qu’il faut voir. Il y a deux éléments importants. Il y a d’abord ce qu’Obama peut faire en tant que président. Par exemple, changer le fonctionnement de sa fameuse « kill list ». C'est-à-dire la liste des personnes à tuer, sans aucun contrôle juridique ou parlementaire, et donc s’autocensurer sur les prérogatives du président.

D’autre part, en ce qui concerne Guantanamo, par exemple, qui est une situation extraordinaire, parce qu’il y a une situation de non-droit à Guantanamo. Mais pour mettre fin au non-droit, le président a besoin du soutien du Congrès, qui ne lui est pas acquis. Il a besoin du soutien politique et juridique pour mettre fin à une situation de non-droit. Il ne peut pas faire tout, tout seul. Mais il y a quand même un changement rhétorique qui va certainement être suivi de certains changements dans la politique étrangère et la pratique des drones. De là à dire que c’est radical, c’est une autre paire de manches.

Y a-t-il une volonté de la part de Barack Obama, dont c’est le dernier mandat, de marquer son empreinte, de se démarquer de la politique de Georges Bush ?

Il y a eu, très souvent, une grande déception, parce que Barack Obama s’est inscrit dans la continuité de l’administration Bush, surtout l’administration Bush d’après 2006. Puis, il a changé, en privilégiant les drones plutôt que les interventions armées. Là, aujourd’hui, il semble aller dans une direction légèrement différente. Ce qu’il a dit dans son discours : que les drones sauvaient des vies. Evidemment, il ne peut pas mentionner que les drones tuent principalement des innocents, mais qui ne sont pas américains. Il y a donc un virage qui, pour les Américains, est certainement significatif. Reste à voir comment cela va être mis en pratique dans le reste du monde.

Cette évocation de la question de drones, est-elle un message pour le Pakistan, notamment ?

Il se trouve qu’il y a deux universitaires américains qui ont fait une étude qui s’appelle « Living under the drones » - « Vivre sous les drones » - principalement au Pakistan. Ces drones, en fait, favorisent le recrutement de terroristes. Cela crée une image catastrophique des Etats-Unis et des problèmes sans nom avec le Pakistan, qui est un pays très peu stable. Donc, limiter l’utilisation des drones permettrait d’améliorer les relations avec un grand nombre de pays arabo-musulmans, notamment le Pakistan.

Mais il y a aussi des contraintes internes. Les réactions des républicains à son discours, certains ont dit que cela allait favoriser les terroristes. Il doit jouer avec ça : une opposition interne assez forte et, d’autre part, sur le plan de l’image des Etats-Unis, ces drones sont une catastrophe.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’il a dit, il y a un grand débat, pour savoir si, en droit américain ou en droit international, ils sont justifiés. Beaucoup de juristes américains disent « non ».

Les Etats-Unis sont toujours menacés par des terroristes. Barack Obama l’a redit. Mais pour lui, « le combat doit se faire de l’intérieur », une allusion à la radicalisation de certains Américains, comme on a pu le voir récemment avec les attentats de Boston. Est-ce aussi un message à destination des forces de sécurité intérieure américaines ?

Oui, très certainement. Mais alors, comment combattre les actes d’individus se réclamant d’idéologies, tel qu’on en a vu aux Etats-Unis, mais aussi en Grande-Bretagne ou en France ? C’est très souvent un travail de police intérieure. Alors que ce qui avait été mis en avait, c’était une guerre mondiale contre la terreur.

Il y a donc un recentrage. Ce qu’a dit Obama est très prometteur, mais il y a aussi une histoire dans laquelle sa rhétorique n’est pas traduite. Sa rhétorique assez progressiste n’est pas traduite en action. Soit parce que lui-même ne va pas très loin, par exemple pour Guantanamo. Il aurait pu relâcher un certain nombre de prisonniers bien plus tôt, même si le Congrès s’y opposait, en les envoyant au Yémen. S’il s’apprête à le faire, c’est très bien. Mais, très souvent, il y a un décalage entre ce qu’il affirme et ce qu’il se passe après.

Justement, à propos de Guantanamo, Barack Obama a réitéré son vœu de fermer la prison militaire. A-t-il les moyens de tenir cette promesse ?

Il a les moyens, déjà, de renvoyer dans les pays qui l’acceptent les prisonniers qui, pour la plupart comme on le sait, ne sont pas du tout terroristes. Ce sont des gens qui ont été pris au hasard, pour au moins 80 % d’entre eux, sinon plus.

Il a donc les moyens de renvoyer dans des pays tiers qui l’acceptent un certain nombre de prisonniers. Pour les autres, effectivement, il y a des batailles politiques et juridiques, puisque le Congrès et diverses décisions de tribunaux l’ont empêché de fermer Guantanamo. Bien que ce soit du non-droit, il est tenu par des rapports de force politique et juridique aux Etats-Unis.

Actuellement, les républicains sont contre la fermeture. Mais l’utilité de Guantanamo, en terme de lutte contre le terrorisme, est quasi nulle. Au contraire, cela produit des effets catastrophiques à l’extérieur. Il n’est pas dit, cependant, que la droite va le laisser faire.

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