Libye : des milices font monter la tension à Tripoli

Les miliciens armés ne relâchent pas la pression à Tripoli. Ils ont cerné, ce mardi 30 avril, le ministère de la Justice après avoir encerclé il y a deux jours le ministre des Affaires étrangères. Ces ex-combattants de la révolution réclament toujours l’adoption d’une loi pour exclure de la vie politique les anciens responsables du régime Kadhafi. Le texte, en discussion au Congrès général national, provoque des remous au sein même de la classe politique.

Ces groupes qui critiquent l’immobilisme des autorités libyennes s’impatientent. Cela fait maintenant plusieurs semaines qu’ils multiplient leurs actions pour faire directement pression sur le chef du gouvernement, Ali Zeidan. Cette fois-ci, après le ministère des Affaires étrangères, c’est le ministère de la Justice qui a été cerné. Selon un habitant, joint par RFI, qui est passé ce matin près du ministère, des hommes armés montés sur des pick-up encerclaient le bâtiment officiel.

« J’ai vu des gens avec des mitrailleuses sur des pick-up. Ces gens ne portaient pas d’uniformes militaires mais des T-shirts », a témoigné cet habitant de Tripoli avant d’ajouter : « Je ne sais pas exactement ce qui se passe mais j’espère que cela s’arrêtera, car s’ils continuent à protester de cette manière, c’est une guerre civile qui risque d’éclater à Tripoli », s'est-il inquiété.

Intenses tensions politiques

Pour ces anciens combattants de la révolution, la présence d’ex-collaborateurs du régime Kadhafi à des postes de décision est inacceptable. Les anciens rebelles - qui se sont pourtant placés sous la tutelle du gouvernement – ont donc le sentiment que rien n’a changé, ou presque, et ne se sentent pas écoutés. De leur côté, les autorités rejettent ces démonstrations de force et accusent ces hommes armés de faire régner un climat de peur. Un face à face qui fait craindre une escalade de la violence.

Le texte du projet de loi, qui entretient un climat de semi-anarchie, pourrait mettre en péril la transition post-Kadhafi. Cela fait plus de six mois qu’il est en discussion au Parlement. Le chef du gouvernement, Ali Zeidan, voudrait restreindre l’application de la loi aux cas de corruption ou de violence. Ce dernier est soutenu par la principale force du Parlement, l’Alliance des forces nationales (AFN), qui compte en son sein plusieurs personnalités ayant travaillé pour l’ancien régime.

Mais une autre partie de l’Assemblée, sous l’influence d’islamistes désireux d’occuper une place plus importante dans le nouvel appareil d’Etat, campe sur une position beaucoup plus radicale. Ils réclament qu’une trentaine de catégories de fonctionnaires soit radiée et exclue de la vie politique, quels qu’aient été leurs états de service et leur période d’activité durant les quarante-deux années de règne de Mouammar Kadhafi. Si tel était le cas, plusieurs hauts responsables du pays risqueraient d’être mis sur la touche.

L’atout des ex-révolutionnaires

Ces ex-révolutionnaires, membres de plusieurs katibas, venus d’Ifren, de Tajoura et surtout de Misrata - la ville martyre de la guerre – disposent d’un atout considérable : leurs armes, qu’ils refusent toujours de déposer depuis la fin du conflit libyen en octobre 2011, et qui leur permettent d’imposer leur loi quand ils estiment que leurs intérêts sont menacés. Leurs actions, ces derniers jours, témoignent encore une fois de la fragilité du nouveau pouvoir libyen.

Joint par RFI, Hassan al Amin, ancien député et ancien président de la commission des droits de l’homme, vit en Grande-Bretagne après avoir reçu des menaces de mort. Ces miliciens appartiennent, selon lui, à différents groupes. « Il y a des islamistes, il y a ceux qui ont essayé d’avoir des postes au gouvernement ou au Congrès mais qui n’ont pas réussi ; il y a des fanatiques des armes qui sentent qu’ils ont le dessus et qui considèrent que tout ce qui ne va pas dans leur sens doit être combattu », avant de conclure : « Il y a donc une variété de groupes dont les intérêts se sont rejoints », a expliqué l’ancien député libyen.

Hassan al Amin a, par ailleurs, estimé que les autorités « sont incapables, aujourd’hui, de gérer le problème sécuritaire ». Seul un sursaut de la population pourrait, selon lui, améliorer les choses. « Ce sont les habitants de toute la Libye qui devraient se lever contre ces miliciens. Les Libyens en ont assez », a-t-il affirmé. « Les gens ont peur de dire haut et fort leur opinion et de s’exprimer car leur domicile peut être menacé, et leur vie aussi », a dénoncé cet ancien président de la commission des droits de l’homme.

De son côté, la mission de l’ONU, sur place, tente de calmer le jeu. Dans un communiqué, elle appelle tous les Libyens à un dialogue « constructif » pour réaliser les objectifs de la révolution.

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