Le Repenti commence par un homme qui court dans la neige. Pourquoi court-il ?
Il court pour changer de vie. Il court pour fuir son passé. Il court comme ont dû courir beaucoup de gens dans ces montagnes, déjà pour fuir l’armée, pour fuir cette ville d’où il venait peut-être.
C’est un homme en fuite ?
Oui.
Cet homme, c’est un repenti. Il s’appelle Rachid. C’est quoi un repenti au sens algérien du terme ?
Je fais partie d’une génération qui entendait parler des repentis aux États-Unis, dans la mafia, etc. Et brusquement en 1999, ce mot est apparu en Algérie. On ne les a pas vus tout de suite. On ne les a pas entendus. Puis on a commencé à voir quelques images de ces gens qui descendaient avec leurs armes et qui rejoignaient des casernes.
Donc des islamistes ?
Des islamistes qui quittaient le maquis et qui soi-disant n’avaient pas de sang sur les mains.
Ils devaient le promettre pour pouvoir retourner au sein de la société civile ?
Ils devaient le promettre. Ensuite, ils étaient protégés, ils étaient réintégrés dans la société. Ensuite, vous savez l’Algérie c’est un pays de rumeurs, donc la rumeur a commencé à enfler sur ces islamistes qui ramenaient beaucoup d’argent, qui ouvraient des commerces, qui devenaient très arrogants, qui parfois gardaient des armes, etc. C’est un personnage qui est apparu dans le paysage algérien brusquement.
À la faveur de la loi sur la concorde civile qui est entrée en vigueur en l’an 2000. L’objectif du président Abdelaziz Bouteflika, c’était de mettre fin à la violence. À l’époque, dans son discours, il disait : « Il n’y a ni clémence, ni repentir. Je suis en train de travailler pour la concorde civile. Et je laisse le peuple algérien seul juge des actes que je prends ». Merzak Allouache, est-ce que pour vous, cette loi sur la concorde civile, c’était un marché de dupes ?
Je ne sais pas parce que mon travail n’est pas sur la concorde civile. Mon travail est plutôt sur l’amnésie. Effectivement dans cette première période, et je me rappelle un peu de ce discours, je crois que beaucoup de gens étaient heureux. Moi j’étais heureux parce que nous sortions d’une période très dure qui s’est terminée par quelque chose d’extrêmement violent, vu que cette période s’est terminée par des massacres dans des villages, par quelque chose d’atroce. Donc ce discours de paix était très bien accueilli. Ensuite le referendum a eu lieu. Tous les Algériens étaient pour la paix. Tous les peuples du monde sont pour la paix, pour la stabilité. Mais le problème qui s’est passé ensuite, c’est le silence. Et c’est sur cette réintégration de ces islamistes repentis qui parfois repartaient dans les maquis parce que cette loi n’a pas arrêté la violence. La violence continue en Algérie dans des régions particulières. Moi j’avais envie de parler de cela surtout que mon film est basé sur quelque chose de réel.
C’est l’histoire de Rachid. Pour l’incarner, vous avez choisi un acteur qui s’appelle Nabil Asli. Il a l’air plutôt sympathique ? C’est un choix délibéré ?
Oui, c’est un choix délibéré parce que dans ce film, je mets en place trois personnages qui sont des personnages de fiction, mais j’essaie de faire le maximum pour ne pas les caricaturer. Il y a beaucoup de caricatures sur les islamistes qu’on appelle aujourd’hui les jihadistes. Pour moi, ces jeunes qui ont dû monter au maquis ne sont pas des caricatures. Ce sont des jeunes qui auraient pu être policiers ou militaires, et qui se trouvent emportés par la tourmente, par la violence.
Il a l’air un peu perdu aujourd’hui. Il retourne dans son village et il se fait accueillir par les lazzis de quasiment toute la population, sauf sa famille qui fait bloc autour de lui.
Il est perdu un peu comme étaient perdu ces jeunes que je rencontrais dans les années 1990 avant le commencement de la violence, les jeunes islamistes, parce que j’en ai côtoyé pas mal, que ce soit dans ma famille, parmi mes amis. J’ai même tourné un film en 1993 juste au début de cette fameuse violence, celle des séries noires, et j’avais toujours face à moi des gens perdus qui avaient des arguments incroyables, qui ne connaissaient pas la religion et qui étaient dans une violence de vengeance contre ce qu’on leur faisait subir en tant que jeune. Il y a un terme très important en Algérie qui est al hogra, c’est le mépris dans lequel on a tenu des jeunes pendant des décennies. Donc ceux qui, à l’époque de mon film Omar Gatlato, allaient noyer leur chagrin dans les bars ont bifurqué vers les mosquées.