«Les autorités libyennes doivent sans attendre renforcer leurs capacités dans le domaine de la médiation des conflits»

En Libye, la campagne pour l'élection du congrès national approche. Elu à l'issue du scrutin du 7 juillet prochain, il sera chargé de nommer un nouvel exécutif et les membres de la commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution. Côté technique, l'ONU est confiante. La mission des Nations unies en Libye, l'UNSMIL, basée à Tripoli, a reçu pour mandat d'apporter son assistance technique aux autorités durant toute la période de transition. Ian Martin, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies en Libye, à la tête de l'UNSMIL, s'inquiète en revanche du comportement des anciennes brigades révolutionnaires et de la recrudescence des affrontements tribaux, mais il est dans l'ensemble optimiste. Il répond aux questions de RFI sur les multiples défis des autorités, en amont du scrutin national le 7 Juillet.

RFI : Le bilan humain des combats à Zintane à la mi-juin est lourd : cent cinq morts. A Koufra dans le Sud, on parle d’une cinquantaine de décès. Etes-vous inquiet de cette recrudescence d’affrontements intertribaux à l’approche des élections ?

Ian Martin : Ces combats sont inquiétants en soit, même en dehors d’une période électorale. Les autorités libyennes doivent sans attendre renforcer leurs capacités dans le domaine de la médiation des conflits. Elles doivent aussi s’attaquer à la cause de ces conflits.

Je souhaite souligner que ces affrontements intertribaux ne sont pas une conséquence de la révolution. Ils préexistaient au mouvement d’insurrection et ont même souvent été exacerbés par le régime de Kadhafi. Cela étant, il faut prendre au sérieux ces affrontements. L’Etat libyen doit mettre sur pied des forces de sécurité neutres, capables de s’entendre et d’être acceptées par les différentes parties aux conflits. Je dirais que les capacités de médiation des autorités sont faibles.

RFI : A Koufra, les Toubous accusent justement les forces d’interposition d’être de parti pris, ils les accusent même de les agresser directement.

I. M. : C’est exact. La neutralité de l’armée nationale est reconnue mais l’armée a peu de troupes. C’est la raison pour laquelle elle fait régulièrement appel à des brigades auxiliaires qui sont en fait d’anciennes brigades révolutionnaires. La neutralité de ces forces auxiliaires est souvent mise en cause, et notamment par les Toubous à Koufra.

RFI : Les autorités libyennes vont-elles faire appel à ces forces auxiliaires pour garantir la sécurité du scrutin du 7 juillet ?

I. M. : La police sera mobilisée. Mais oui, les comités suprêmes de sécurité, qui regrouperont d’anciennes brigades révolutionnaires placées sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, seront également mises à contribution. Cela dit, pour ce qui est du scrutin,  ces brigades ne seront pas déployées dans d’autres régions de la Libye, elles veilleront à la sécurité du scrutin dans leurs régions d’origine.

RFI : Les mesures adoptées à ce jour sont-elles de nature à garantir un scrutin libre juste et transparent ?

I. M. : On pourra en juger après le scrutin. Il faut être réaliste, on ne peut pas s’attendre à un scrutin sans faille dans une situation de post-conflit, qui plus est dans un pays qui n’a pas organisé de scrutin en quarante ans. Mais c’est une élection que les Libyens souhaitent et je pense que les autorités ont tout mis en place pour que le scrutin soit crédible.

RFI : De quelle manière est ce que les Nations unies ont assisté les autorités dans la préparation du scrutin ?

I. M. : Nous offrons notre assistance pour ce scrutin, mais aussi pour toutes les autres échéances de la transition démocratique, car il y aura un référendum sur la Constitution, et ensuite de nouvelles élections nationales sur la base de cette Constitution.

Nous avons mis à la disposition des autorités nos experts électoraux. Ils ont donné de nombreux conseils à la Commission électorale, notamment lors de l’élaboration de la loi électorale. Nous n’allons pas envoyer d’observateurs du fait de notre contribution technique à cette élection. Nous en avions dépêché en Côte d’Ivoire, mais c’était différent, car nous avions en parallèle une mission de certification.

Pour revenir à la Libye, je pense que le travail qui a été accompli est considérable, et le crédit revient aux autorités libyennes qui sont parvenues à établir des listes électorales en très peu de temps.

RFI : Vous êtes donc confiant pour ces élections ?

I. M. : Les Libyens se sont inscrits en masse pour pouvoir voter et j’ai peu de doutes sur les aspects techniques. C’est sur le volet sécuritaire qu’il faudra être vigilant.

RFI : Les milliers d’ex-loyalistes toujours maintenus en détention pourront-ils voter ?

I. M. : Non. En revanche, des dispositions ont été prises pour permettre aux populations déplacées de voter, mais pas pour les personnes en détention. Nous avons dit au CNT qu’il serait préférable que les détenus soient remis entre les mains des autorités de l’Etat, car pour le moment ce sont surtout les anciennes brigades révolutionnaires qui gardent ces prisonniers. Nos pressions n’ont pas abouti à des avancées significatives sur ce dossier

RFI : Comment situez-vous la Libye par rapport à la Tunisie et l’Egypte qui essaient aussi de mettre sur pied des institutions démocratiques ?

I. M. : J’espère que la Libye emboîitera le pas à la Tunisie, où les élections se sont assez bien déroulées. A ce jour en Libye, je n’ai entendu personne remettre en cause le travail de la Commission électorale ou celui des autorités intérimaires, personne ne les accuse d’être de parti pris. C’est quelque chose de très positif.

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