Hervé Bourges : Ahmed ben Bella est «quelqu’un qui a donné sa vie à son pays»

Ahmed Ben Bella s’est éteint ce mercredi 11 avril à Alger. Hervé Bourges, l'ancien directeur général de RFI, l'a bien connu. Entre 1962 et 1965, il a été son conseiller technique à la présidence algérienne. Hervé Bourges était l’invité de Christophe Boisbouvier, ce jeudi 12 avril 2012.

RFI : Quel souvenir vous laisse Ahmed ben Bella ?

Hervé Bourges : Je le connais de longue date et il se trouve qu’après l’indépendance de l’Algérie, il m’avait demandé, ayant gardé un bon souvenir de moi, de venir auprès de lui à son cabinet dans les années 1962, au moment de l’indépendance. C’est une figure historique de l’Algérie, bien sûr, controversée par certains, bien évidemment, parce que c’était toujours lui qui était mis en avant. Mais pour le peuple algérien, c’est le premier président de la République algérienne. C’est quelqu’un qui a donné sa vie à son pays et qui a passé une bonne partie de sa vie en prison, d’abord dans les prisons françaises, puis après le coup d’Etat du 19 juin 1965 dans les prisons du président Houari Boumediene. Et puis, il était devenu un personnage très calme qui était entre Paris et Alger. J’ai fait même une interview de lui à la fin de l’année dernière.

RFI : La première fois que vous l’avez rencontré, c’était en 1960, quand il était prisonnier des Français ?

H.B. : Absolument avec Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Rabah Bitat, C’étaient les cinq chefs de la révolution algérienne, dont l’avion –premier acte de piraterie internationale d’ailleurs- avait été détourné le 20 octobre 1956. Je les voyais à la demande d’Edmond Michelet, le ministre de la Justice du général de Gaulle, qui me demandait d’entretenir des relations avec eux. Ce que j’ai fait. Je leur disais ce que, du côté français, on souhaitait que je leur dise et eux me disaient ce qu’ils souhaitaient que je dise au gouvernement français.

RFI : On imagine que, pendant ces six ans de prison, Ahmed Ben Bella et ses compagnons de cellule étaient soumis à des pressions politiques de la part de la France. Est-ce qu’ils savaient y résister ou pas ?

H.B. : Tout à fait. Je dirais même que d’une certaine manière, la France a essayé de négocier en se passant d’eux. Mais en même temps, c’étaient des personnages historiques incontournables et en aucun cas le gouvernement français n’aurait pu négocier avec le FNL (le Front de libération nationale) si l’annonce de la libération des cinq ne faisait pas partie du contrat.

RFI : En 1962 à l’indépendance, Ahmed ben Bella était l’homme le plus populaire d’Algérie. Comment expliquez-vous sa chute trois ans plus tard ?

H.B. : Cela a été le plus populaire parce qu’il a fait l’unité du pays, même si elle s’est faite dans des conditions très difficiles. Ben Bella était un vrai personnage qui incarnait la lutte du peuple algérien, mais en même temps c’était un homme qui avait ses limites. Il était à la tête d’un pays éclaté : le départ des pieds-noirs, le massacre des harkis, les luttes intestines, une administration qui n’existait plus. Je me souviens à l’époque il fallait s’occuper des moissons. Il n’y avait plus de tracteurs, ils avaient été brûlés par les colons avant de partir. Josip Broz ditTito [président de la République fédérative populaire de Yougoslavie] d’un côté, Gamal Abdul Nasser [Président d'Égypte de 1952 à 1970] de l’autre ont aidé l’Algérie. Un certain populisme s’est établi avec la création de comités de gestion. Je dirais qu’on peut faire le reproche à Ben Bella peut-être de ne pas avoir été à la hauteur, mais qui l’aurait été dans les circonstances qui étaient celles de l’Algérie d’alors. Je vais vous dire une chose, je fais le pari que sa mort, la mort du premier président de l’Algérie indépendante, sera ressentie par tous les Algériens et on le verra au moment de ses obsèques.

RFI : C’était lui-même un dur. Il avait combattu pendant la deuxième guerre mondiale au côté des Français. Comment se fait-il qu’il se soit fait doubler en 1965 par le colonel Boumediene ?

H.B. : D’abord, du côté des Français, je voudrais que l’on dise une chose parce que c’est très bien de dire Ben Bella, FLN etc… Ben Bella était un combattant de la liberté pendant la deuxième guerre mondiale. Il a été décoré par le général de Gaulle à Monte Casino (en Italie). Et au mois de novembre de l’année dernière, il me recevait à Alger pour partager un couscous avec lui et il me disait qu’il avait été très fier d’être décoré par le général de Gaulle en me disant : « J’ai été le seul Arabe sur les six qui ont été décorés de la médaille militaire ».

RFI : C’était un homme courageux ?

H.B. : Un homme courageux bien sûr qui a commis des actes qui mettaient en péril sa vie, bien évidemment. Ceci étant, la France n’a pas su faire évoluer le statut de l’Algérie. Et tous ceux qui avaient combattu pour la France à ce moment-là, un certain nombre d’entre eux, sont restés amers et ça a créé le Mouvement national algérien.

RFI : Il incarne peut-être l’échec de la France après la guerre de 40 en Algérie ?

H.B. : Oui c’est sûr. Et Ben Bella était dur, mais il était un homme très ouvert sur le monde. Et sur la fin de sa vie, il était tout à fait pour le multipartisme en Algérie, pour la liberté de la presse, pour l’indépendance de la justice, j’en ai discuté avec lui il y a trois mois.

RFI : Peut-être était-il un peu trop tendre et un peu moins cynique que Houari Boumediene ?

H.B. : Sûrement. Il est tombé en 1965 parce que, après s’être appuyé sur l’armée des frontières du colonel Boumediene contre les maquis intérieurs, contre le GPRA [premier gouvernement provisoire de la République algérienne], il s’est aperçu de l’influence grandissante de Boumediene et notamment de celle d’Abdelaziz Bouteflika. Et c’est à ce moment-là qu’ils ont décidé sa chute. Ce que je voudrais quand même vous dire, c’est qu’à la fin de sa vie, les relations entre le président Ben Bella et le président Bouteflika étaient des relations extrêmement chaleureuses et fraternelles. On le verra d’ailleurs à l’occasion des obsèques qui vont se dérouler très vite.

RFI : Est-ce que le général de Gaulle le respectait ?

H.B. : Le général de Gaulle avait dit de Ahmed Ben Bella : « Cet homme ne nous veut pas de mal ».

RFI : Est-ce qu’il était un peu le de Gaulle de l’Algérie ?

H.B. : Sûrement au moment de l’indépendance. Hocine Aït Ahmed est une grande figure aussi de la révolution algérienne, qui n’aimait pas Ben Bella et c’était réciproque, parce qu’Aït Ahmed avait une intelligence et une culture supérieure et Ben Bella incarnait vraiment ce que peut incarner un peuple en guerre. C’était le paysan algérien qui avait pris la tête des maquis. C’est en ce sens qu’on peut considérer toute sa vie.


Ahmed Ben Bella a donc donné sa dernière interview à la fin de l'année dernière. Vous pourrez la voir, le 4 mai prochain sur France 5, dans un documentaire consacré à Hervé Bourges sous le titre « Les braises et la lumière ». 

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