Nigeria : la colère du peuple

Le premier producteur de pétrole du continent vient d'être secoué par une semaine de grève générale qui a paralysé le pays. En cause : la suppression de la subvention sur les carburants décidée par le président Goodluck Jonathan le premier janvier dernier. La mesure, inattendue a fait doubler le prix de l’essence, et fait exploser le coup de la vie. Les syndicats ont appelé à la grève générale le 9 janvier. Le mouvement a été massivement suivi, particulièrement à Lagos, la capitale économique. Au coeur de la grogne sociale : le ras-le-bol de la corruption. Reportage.

De notre correspondante à Lagos

« On veut l’essence à 63 nairas le litre et rien d’autre », Charles, hurle au milieu de la foule. Il a tout juste vingt-cinq ans et déjà les traits du visage tirés. Diplômé en ingénierie mécanique au chômage, il a revêtu son costume de« pèlerin-des-parpaings » bien décidé à faire entendre sa voix. Gilet rouge, bâton et tract en main, il manifeste aux côtés de médecins, mécaniciens, vendeurs ambulants. Toutes les couches de la société, toutes ethnies et confessions confondues sont rassemblées contre un ennemi commun : le gouvernement. « Comment voulez-vous qu’on s’en sorte », explique-t-il. « Il n’y a pas de boulot, pas d'électricité, pas d’eau courante et maintenant, ils nous enlèvent la subvention sur l’essence.C’est criminel. On souffre. Cela suffit ».

Le premier janvier dernier, le gouvernement nigérian a supprimé la subvention sur les carburants. Motif invoqué : le coût exorbitant qui ne cesse de grever le budget de l’Etat. Selon les autorités, l’équivalent de 5,4 milliards d’euros ont été dépensés pour l’année 2011. Une somme qui permettrait d’améliorer les infrastructures et de remédier à la corruption qui gangrène le milieu des importateurs. Pendant deux mois, les autorités ont tenté de convaincre. La campagne médiatique a été houleuse. L’Assemblée nationale a rejeté la mesure. Mais le président Jonathan a fait un passage en force afin de mener au bout la réforme du secteur pétrolier.

Hausse de 110%

L’effet a été immédiat : le prix du litre d’essence est alors passé de 65 nairas (30 centimes d’euros) à 141 nairas, soit l’équivalent de 60 centimes d’euros. Une hausse de 110%. L’impact sur le coût de la vie a été immédiat. En moyenne, les prix des produits des denrées de consommation courante et des services ont été multipliés par deux. Inacceptable aux yeux des principales centrales syndicales. Elles ont appelé à une grève générale illimitée.

Mercredi 11 janvier. Troisième jour du mouvement. Le chaos légendaire de la capitale économique est un vieux souvenir. Commerces, administrations et entreprises ont baissé le rideau. Les quelque 18 millions d’habitants sont confinés chez eux, devant l’écran de télévision. « On occupe nos maisons », ironisent certains sur les messageries BlackBerry. Les plus téméraires bravent le soleil et la poussière portée par l’Harmattan.

Dans le quartier populaire d’Ebute Metta, des jeunes ont installé un barrage de fortune pour empêcher toute circulation. Quelques bidons d'essences, des parpaings et des résidus de pneus calcinés jonchent le bitume. Un pick-up de la police fait sa ronde. Une centaine de personnes s’agitent, tapent sur le véhicule. Les forces de l’ordre tentent de calmer la grogne populaire puis disparaissent, pied sur l'accélérateur et poing levé. « Eux aussi nous soutiennent. On est tous affectés », explique un père de famille :

« Le président nous parle d’économies et d’investissements, c’est la même chose depuis l’époque des dictatures militaires », poursuit-il, la rage au ventre. « Il y a trois ans, le diesel a été dérégulé. Quel est l’impact ? Où est l’argent? Pourquoi s’en sont-ils servis? C’est un leurre. Les dirigeants essayent simplement de s’accaparer l’argent de la subvention. Jonathan nous prend pour des imbéciles. Il doit faire des choses avant de retirer cette subvention. Qu’a-t-il fait ? Il nous a présenté un package de nouvel an. On a le pouvoir de ne pas l’accepter. Le président a été élu. On a voté pour lui en pensant qu’il travaillerait pour la bonne gouvernance. Ce pourquoi on se bat aujourd’hui dépasse le mot d’ordre des syndicats ».

Des cadres rejoignent le mouvement

Corruption. Bonne gouvernance. Transparence... Les mots sont lâchés. Même les quartiers les plus huppés de la mégalopole sont progressivement investis par des manifestants. A Ikoyi, des milliers de personnes s’agglutinent sous le pont de Falomo, des 4x4 rutilants garés à proximité. Ipad dans une main, verre de rosé dans l’autre, des jeunes reprennent en coeur les refrains du légendaire contestataire Fela Anikulapo Kuti. « Au départ, cette grève me paraissait ridicule, concède discrètement un cadre. Mais le mouvement prend une autre tournure. Alors, je l’ai rejoint ».

C’est un fait. Le retrait de la subvention sur le carburant a réveillé les vieux griefs contre le pouvoir. « C’est de l’esclavage moderne, on vit dans une société ou les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres », tempête un employé de banque. « Y’en a ras-le-bol ». Selon le classement de Transparency International, le Nigeria est 130ieme sur une liste de 180 pays.

Rendez-vous pris aux abords du Gani Fawehinmi Freedom Park. Ce carrefour d’Ojota est un haut lieu de la contestation. Plusieurs mouvements de la société civile -Save Nigeria, Occupy Nigeria etc- ont investi les lieux. « Supprimez la corruption, pas la subvention », peut-on lire sur plusieurs pancartes. Au quatrième jour de la grève, des personnalités religieuses, intellectuelles et artistiques se succèdent sur la scène, sous l’oeil attentif de quelque 20 000 personnes. « On veut que le président nous donne des faits tangibles pour que l’on se fasse une idée de la nécessité ou non de supprimer la subvention », explique un étudiant. « Mais il ne nous a rien révélé, il nous parle d’une cabale qui s’enrichit. Mais qui sont les membres de cette cabale? Listez leurs noms, faites nous savoir combien ils ont siphonné dans le système et on prendra les mesures adéquates contre eux ».

Entre deux solo de saxophone, Seun Kuti, l'un des fils de Fela, harangue les foules. Il fulmine. « Le gouvernement fédéral doit prendre conscience que les Nigérians ne sont plus soumis, dit-il. On n’est pas un paillasson sur lequel ils peuvent se frotter les pieds en jouissant de leur vie de luxure. Pas question. Il faut se dresser contre la corruption. La question de la subvention sur l’essence c'était l'étincelle. Maintenant, tout le monde est ici en raison de la corruption. On n’en veut plus ».

Après une semaine de silence, le président Jonathan a concédé le rétablissement de la subvention sur les carburants. Mais à un niveau moindre que par le passé. Le prix du litre d’essence a baissé de 30%. Le geste semble avoir contenté les principales centrales syndicales qui ont suspendu la grève lundi.

L'agence nationale de lutte contre la corruption (EFCC) a, le même jour, ouvert une enquête sur le paiement des subventions aux importateurs de pétrole. Pas de quoi satisfaire le peuple. Dans les boutiques, les prix des denrées restent inchangés. La contestation a quitté la rue pour les comptoirs. Entre nécessité de survivre et envie d’obtenir gain de cause, les Nigérians tergiversent. Mais jusqu’à quand....

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