Ces six Somaliens du procès Carré d’As sont les premiers à être jugés dans ce qui s’avère être le premier procès de pirates somaliens en France. En tout, ce sont quatre affaires de ce type qui impliquent quelque 22 Somaliens, actuellement détenus en France, et qui feront également l’objet d’un procès.
Les six Somaliens ont été faits prisonniers après l’intervention de commandos français qui ont libéré, par la force, un couple pris en otage sur le voilier Carré d’As. Le groupe formé par les accusés réclamait d’abord quatre, puis deux millions de dollars pour la vie de Jean-Yves Delanne et de son épouse Bernadette, retenus prisonniers dix jours avant l’opération militaire ayant conduit à leur libération.
Les six détenus sont poursuivis pour « détournement de navire, enlèvements, séquestrations avec demande de rançon, association de malfaiteurs et vol en bande organisée ». Ils encourent des peines allant de 30 ans à la prison à perpétuité.
Trois ans et demi de détention provisoire
Cela fait maintenant plus de trois ans que les pirates présumés sont détenus en France, en attente d’un procès. Prévu initialement à huis clos, du fait de la présence, parmi eux, d’un jeune de moins de 18 ans, le procès sera public. La décision a été prise à la demande du présumé pirate, mineur au moment des faits et qui est aujourd'hui âgé de 21 ans.
Selon deux avocats de la défense, joints par RFI, la détention de leurs clients s’est mal passée et ce qui a été très difficilement vécu, ce fut leur isolement. Ils n’ont pas pu communiquer avec leurs familles, car en Somalie il n’y a pas de communication postale. Il se trouve que pour les détenus en attente de jugement, seuls les courriers sont autorisés.
Isolés ensuite entre détenus eux-mêmes, ils ont été autorisés à communiquer entre eux, seulement après deux ans de détention.
Pour Me Antonin Levy, si cela s’est mal passé pour son client, « cela s’est encore plus mal passé pour d’autres personnes dans le dossier qui, eux, ont véritablement développé des syndromes de folie carcérale ; certains étant allés jusqu’à de l’automutilation qui était peut-être le seul moyen pour faire entendre leur détresse ».
Me Cédric Alépéé, un autre avocat de la défense, évoque lui-aussi les conditions d’isolement de son client ainsi que les trois ans et demi de détention provisoire, jugés très longs.
Dépassés par les enjeux judiciaires
En Somalie, et du fait de la déliquescence de l’Etat, la piraterie avec prises d’otages est aujourd’hui endémique. On estimait fin octobre que 17 bateaux étaient aux mains de pirates capables de sévir à des centaines de kilomètres au large du littoral de leur pays, où l’anarchie et l’insécurité règnent depuis 1991. L’Union européenne a monté ces dernières années dans la région une opération de surveillance du littoral de la Corne de l’Afrique, dite « Atalante », avec des navires de guerre et des avions de patrouille maritime.
Me Antonin Levy a le sentiment que ces détenus somaliens sont un peu dépassés par ce procès.
La question du retour, plus inquiétante que celle de la durée de la peine en France
La France a choisi la voie des procès sur son sol, là où d’autres pays se limitent à la voie militaire ou bien remettent les éventuels pirates faits prisonniers à des autorités locales de la région, notamment le Kenya.
Pour ces Somaliens jugés en France, une fois leur peine terminée, la question de leur retour se pose et « c’est à la cour d’assise d’y répondre», précise Me Antonin Levy. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas retourner en Somalie car la République transitoire somalienne est basée au Kenya. Et la dernière fois que des pirates ont été jugés au Kenya, ceux qui avaient une participation indirecte ont été condamnés à une peine de prison à perpétuité et ceux qui avaient une participation directe, à la peine de mort.
Après le dossier Carré d’As, la France devra juger six Somaliens écroués depuis avril 2008, après la prise de trente otages à bord du Ponant et trois autres capturés lors de l’assaut du voilier Tanit, où un otage français avait péri d’une balle militaire française en 2009.
Il faudra aussi traduire en justice un groupe de sept hommes accusés de l’attaque, en septembre dernier, d’un catamaran au cours de laquelle un Français avait été assassiné.