RFI : Mansour Saif al-Nasr, on parle d’un arrêt des opérations de l'Otan pour lundi prochain, le 31 octobre. Cette mission de l’Otan doit-elle être arrêtée le plus vite possible ou souhaitez vous sa prolongation pour quelques semaines ?
Mansour Saif al-Nasr : Le CNT (Conseil national de transition) a demandé une période d’un mois pour arrêter les activités de l’Otan.
RFI : Pourquoi ?
Mansour Saif al-Nasr : Vous savez, on vient de finir une guerre, quelques éléments de l’ancien régime sont dispersés un peu partout. Il y a beaucoup d’armes en circulation, et nous n’avons pas encore une armée nationale proprement dite, pour s’occuper de la sécurité du pays.
RFI : Quelle va être la priorité du CNT dans les prochaines semaines ?
M.S.N. : Maintenant c’est la grande bataille qui commence. C’est la bataille de la démocratisation, de la reconstruction, de la réconciliation nationale de la Libye, la bataille de la formation d’une armée nationale et de services de sécurité.
RFI : A quelle date prévoyez-vous des élections libres ?
M.S.N : La Constitution (transitoire) prévoit une période de 8 mois.
RFI : Il y aura des élections libres dans 8 mois pour une Constituante ?
M.S.N. : Pour un Congrès national qui désignera une commission elle-même chargée de rédiger la Constitution.
RFI : Quelle sera la place de la religion musulmane dans la future Constitution ? Est-ce que l’islam sera religion officielle en Libye ?
M.S.N. : Le peuple libyen est à 100% musulman. Mais la Constitution transitoire qui a été rédigée par le CNT proclame la liberté d’exercer les cultes différents dans le pays.
RFI : Le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil a clairement déclaré que la charia devrait jouer un rôle prépondérant dans la future législation libyenne.
M.S.N. : En Libye, comme je l’ai dit, les Libyens sont à 100% musulmans. La Constitution sous la monarchie stipulait que la charia islamique était la source de toutes les lois, sous Kadhafi c’était la même chose, il en va de même aujourd’hui.
RFI : Donc l’islam restera source du droit dans un mélange d’application de la charia et des codes civil et pénal inspirés par les modèles occidentaux.
M.S.N. : Exactement. Si vous regardez la Constitution en vigueur aujourd’hui, c’est la plus démocratique qui existe dans le monde. La Libye n’est pas les talibans, la Libye n’est pas al-Qaïda, la Libye n’est pas une source de terrorisme.
RFI : Est-ce que ce cadre futur respectera donc la démocratie, les droits de l’homme, et l’égalité hommes-femmes ?
M.S.N. : Absolument.
RFI : Aucun doute là-dessus ?
M.S.N. : Non. Pas de doute.
RFI : Sur la question de la Charia, on dit qu’il y a des divergences importantes au sein même du CNT entre religieux et laïcs. Vous confirmez ces divisions internes ?
M.S.N. : Au sein du CNT non, mais c’est la démocratie, chacun s’exprime librement.
RFI : Le président iranien Ahmadinejad vous demande de vous unir pour éviter une domination occidentale sur votre pays. Que dites-vous d’un tel message ?
M.S.N. : Nous n’avons aucune leçon à recevoir de qui que ce soit. Nous sommes des patriotes, nous avons demandé l’intervention des forces étrangères, pas sur le sol et avec l’appui de la Ligue arabe, avec l’appui de la communauté internationale. Nous avons des pays amis qui sont venus nous soutenir, nous aurons des relations privilégiées avec ces pays.
RFI : Mais vous ne serez pas une colonie des Occidentaux ?
M.S.N. : Absolument pas.
RFI : A quel moment le CNT va-t-il lancer une enquête sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi ?
M.S.N. : Une commission a déjà été formée. L’enquête est en cours.
RFI : Beaucoup de rumeurs sur les circonstances de cette mort. Il n’y a pas eu selon vous d’instructions données pour tuer Mouammar Kadhafi ?
M.S.N. : Absolument pas ! Le CNT tenait à avoir Kadhafi vivant pour qu’il puisse répondre aux crimes qu’il a commis contre l’humanité, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Libye. Mais vous savez que le CNT n’a pas d’armée régulière. Sur le champ de bataille, il y a des jeunes, des étudiants, des médecins, des ingénieurs, des avocats qui sont venus pour défendre leur pays et leurs familles. Ces jeunes ont vu Kadhafi assassiner leurs frères, leurs pères, leurs amis. Ces jeunes ont entendu Kadhafi donner l’ordre pour violer leurs sœurs et leurs mères. Ces jeunes ont vu les soldats de Kadhafi violer leurs filles, leurs sœurs, leurs mères devant leurs propres yeux.
RFI : C’est pour ça, on l’a vu sur les vidéos des derniers instants de Kadhafi, qu’on peut penser qu’ils étaient emplis de haine et de colère et qu’il y a donc eu peut-être, sans doute, exécution sommaire ?
M.S.N. : Ou bien la 5ème colonne, les forces de Kadhafi, sont intervenues. Il y a eu un accrochage… Tout cela, l’enquête, nous le montrera.
RFI : Des pro-Kadhafi auraient pu tuer Mouammar Kadhafi ?
M.S.N. : Bien sûr. Quand Kadhafi a été arrêté, ses partisans étaient aux alentours, et il y a eu des accrochages avec les forces révolutionnaires.
RFI : Pourquoi des pro-Kadhafi auraient-ils tué Mouammar Kadhafi ?
M.S.N. : Peut-être pas le tuer mais, en tirant « par-ci par-là » (…) ils essayaient de tirer sur nos hommes, ils ont tiré sur lui.
RFI : Le médecin qui a effectué l’autopsie dit qu’il attend que le feu vert du CNT pour rendre publiques ses conclusions. Quand l’aura-t-il ?
M.S.N. : La commission sera chargée de prendre ce rapport et de le publier.
RFI : L’un des fils de M. Kadhafi, Seif al-Islam et l’ancien chef des renseignements Abdallah al-Senoussi sont tous deux visés par un mandat d’arrêt de la CPI. Ces deux hommes auraient été vus approchant hier de la frontière nigérienne, c’est une allégation crédible selon vous ?
M.S.N. : Je ne peux pas vous dire. Mais le Niger est un pays ami, avec qui nous avons des contacts très sérieux. Nous savons que s’ils sont au Niger, ils seront arrêtés et présentés à la justice internationale.
RFI : Vous faites donc confiance aux autorités nigériennes ?
M.S.N. : Absolument.
Mansour Saif al-Nasr était l'invité de Bruno Daroux sur RFI.