19 octobre 1986, Samora Machel, 47 ans, rentre de Mbala, dans le nord de la Zambie. Il y a participé à un sommet sur la guerre civile en Angola, avec les présidents zambien Kenneth Kaunda, l’angolais José Eduardo dos Santos et le zaïrois Mobutu Sesse Seko. Les conditions météorologiques sont assez bonnes. Le Tupolev 134A, piloté par des militaires soviétiques, doit atterrir vers 21 heures à l’aéroport de Maputo.
Mais, quelques minutes avant le moment prévu pour l’atterrissage, le pilote tourne vers la droite, en fonction des données émises par la balise radio (VOR) de l’aéroport de la capitale mozambicaine. Ne voyant pas apparaitre les lumières de la ville, croyant qu’il y a une coupure d’électricité à Maputo, l’équipage demande des instructions à la tour de contrôle de l’aéroport. Mais celle-ci n’y parvient pas fournir beaucoup d’aide car l’appareil se trouve alors à plus de 50 kilomètres de distance, quelque part vers l’ouest.
L’équipage pense être près de la zone d’approche des pistes et se prépare à faire un atterrissage aux instruments. Malgré les avertissements sonores répétés des altimètres de bord, le pilote décide de baisser encore l’altitude de l’appareil. C’est ainsi que le Tupolev s’écrase à Mbuzini, en territoire sud-africain, à quelques mètres de la frontière avec le Mozambique, tuant le président de ce pays, ainsi que 33 autres passagers et membres d’équipage. Il n’y aura que neuf survivants, dont certains très grièvement blessés.
Président d’un jeune pays en guerre
Cet accident provoque un grand émoi au Mozambique, un pays indépendant depuis à peine onze ans. Samora, doté d’un grand charisme, était le père d’une nation qui vivait des temps bien difficiles, à cause notamment de la guerre civile meurtrière conduite par la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO), appuyée par le régime d’apartheid sud-africain.
Les autorités mozambicaines accusent immédiatement Pretoria d’avoir tué leur président. Elles affirment que les Sud-Africains, pour commettre ce « crime d’Etat », ont installé une sorte de radiobalise pirate près de la frontière, un équipement mobile utilisant les fréquences du VOR de Maputo, pour faire dévier le Tupolev de sa route. Certains affirmeront même que l’appareil a été atteint par un missile.
Toutefois, la Commission d’enquête internationale, dont faisait partie l’ancien astronaute américain Frank Borman, attribue la responsabilité de cet accident tragique à l’équipage soviétique de l’appareil qui aurait commis de grosses erreurs de pilotage. C’ést aussi l’opinion de plusieurs techniciens de l’aéronautique que nous avons pu contacter à Maputo. Mais le gouvernement mozambicain, comme ceux de plusieurs autres Etats d’Afrique australe, ont toujours refusé cette thèse, préférant donc accuser l’apartheid, ou du moins certains des éléments les plus radicaux du régime sud-africain de l’époque.
A Maputo on a également évoqué le rôle que le Malawi, à l’époque allié de Pretoria, aurait pu jouer dans cette affaire. Samora et son parti, le Frelimo, n’aimaient pas du tout le président malawite Hastings Banda lequel soutenait également la RENAMO. Pour des Mozambicains du centre et du nord du pays, Banda était un « grand sorcier ». Son esprit aurait pu être lié au désastre…
Les spéculations se poursuivent
Un quart de siècle après, le mystère reste entier. Après la fin du régime de discrimination raciale en Afrique du Sud, Graça Machel - veuve de Samora qui a épousé l’ancien président sud-africain Nelson Mandela en 1998 - a appelé les gouvernements de son pays et celui de l’Afrique du Sud à faire toute la lumière sur les causes de ce tragique accident. Elle a souligné que Pretoria avait menacé Samora à plusieurs reprises et que les soldats sud-africains s’étaient rendus sur le lieu du crash en quelques minutes, mais que leur gouvernement avait mis neuf heures à informer Maputo.
Certains continuent à dédouaner le régime de l’apartheid, soulignant que Pretoria n’avait à l’époque aucun intérêt à éliminer Machel, après la conclusion des accords de Nkomati en 1984 qui obligeaient, du moins théoriquement, les deux Etats à ne plus soutenir de mouvements rebelles : respectivement la RENAMO par les Sud-Africains et le Congrès national africain (ANC) par les Mozambicains. Engagements jamais respectés…
D’autres accusent les Soviétiques, car Samora Machel avait déclenché, à partir des années 1980 une politique d’ouverture vers l’Occident. Il est allé aux Etats-Unis. Il a même fait une visite à l’ancienne puissance coloniale, le Portugal. Il a également été reçu à Paris par François Mitterrand en octobre 1983.
On a également évoqué une vague de mécontentement de certains officiers supérieurs mozambicains contre leur président. Des théories conspirationnistes évoquent même une sorte d’alliance de facto entre Pretoria et l’URSS. Mais on voit mal le Kremlin, au temps de la guerre froide, faire périr huit ou même plus de ses militaires pour se débarrasser du président mozambicain.
Aujourd’hui l’apartheid n’existe plus depuis 1993. L’Union soviétique a disparu. Peut-être qu’avec le temps et avec l’ouverture des archives - à Moscou, à Pretoria ou ailleurs - on pourra un jour connaître la vérité et savoir enfin pourquoi le pilote a fait tourner le Tupolev vers l’Afrique du Sud, au lieu d’atterrir à Maputo.