Tarek al-Zomor, ancien prisonnier politique égyptien, ne croit plus à la lutte armée

Tarek al-Zomor fut l’instigateur de l’assassinat du président Sadate en 1981. Libéré au début de la révolution égyptienne après 30 ans de prison, Tarek al-Zomor explique sur RFI les raisons de son engagement radical de l’époque. Avec les révolutions en cours dans le monde arabe. Il donne également sa vision des nouvelles relations entre ces pays et l’Occident. Toujours engagé au côté des islamistes, il se montre très modéré concernant la nouvelle vie politique égyptienne.

RFI : Tarek al-Zomor, avez-vous été surpris par votre libération, et comment l’interprétez-vous ? 

Tarek al-Zomor : cette décision aurait pu être une surprise pour moi si Moubarak était toujours au pouvoir. Mais quand Moubarak est parti, j'ai  pensé qu’ils allaient me libérer.

RFI : pourrions nous revenir sur votre itinéraire politique, durant les années 1970. A l’époque, que pensez-vous du mouvement des Frères musulmans qui existe en Egypte depuis la fin des années 1920 ?

T.a.Z : Moi, je n’appartenais pas aux Frères musulmans mais j’étais influencé par leur idéologie comme toute ma génération. Notre mouvement, le mouvement jihadiste, était contre la manière dont Nasser utilisait le pouvoir et la violence à cette époque, en réprimant notamment les Frères musulmans. Nous, nous voulions nous venger de cette Sécurité. Notre idée était : « Nous ne voulons pas être victimes du pouvoir » comme les Frères musulmans.

RFI : A quel moment précisément créez-vous votre mouvement, qui évidemment est un mouvement clandestin ?

T.a.Z : On a décidé de créer le groupe al-Jihad en 1978. Parmi les objectifs les plus importants du groupe, il y avait la volonté de prendre le droit de lutter contre les tyrannies du pouvoir de l’époque.

RFI : Vous avez un regard critique à l’égard de la répression qu’a exercé Nasser à l’égard des Frères musulmans. Lorsque Sadate arrive au pouvoir, il va mener une politique plus libérale à l’égard des islamistes, en favorisant notamment la création d’associations islamistes dans les universités. Comment voyez-vous cette nouvelle politique menée par Sadate à l’égard notamment des Frères musulmans ?

T.a.Z : On avait peur du pouvoir en général, on avait l’expérience des Frères musulmans avec Nasser. Donc on n’avait pas confiance en Sadate, et surtout on pensait, qu’il allait changer sa politique. Ca a commencé en 1977. Ce que l’on pensait s’est réalisé en 1979 lorsque Sadate a falsifié les élections. Il n’a pas accepté que d’autres courants entrent au Parlement égyptien. Sadate disait que la démocratie a des griffes. Donc sa dictature était beaucoup plus sévère que les autres dictatures et il était clair qu’il n’allait pas laisser passer ni les Frères musulmans, ni des libéraux, ni des coptes, ni des socialistes. Il a réprimé tous ces mouvements politiques.

RFI : Vous voulez dire que c’est en réaction à cette nouvelle répression, exercée cette fois par Sadate, que finalement votre groupe décide de se radicaliser ?
 
T.a.Z : La réaction islamiste contre Sadate était une réaction très naturelle, parce que c’est la provocation de ce pouvoir autoritaire qui a encouragé tous les mouvements violents qui luttaient contre la tyrannie du pouvoir arabe existant alors dans la région.

RFI : La politique étrangère menée par Sadate à l’égard d’Israël fut-elle également, pour vous, une provocation ? Il fut le premier président égyptien à se rendre à Jérusalem pour faire la paix.

T.a.Z : On a eu cette réaction pour deux raisons. Sadate s’est tourné vers Israël pour faire la paix, mais à ce moment-là, il a méprisé la volonté de la société arabe et du peuple égyptien. Dans ses discours, on a senti que c’était une insulte contre le peuple égyptien. Donc pour nous c’était une provocation qui nous a encouragés dans nos actions.

RFI : Vous vous souvenez du jour où les accords de Camp David sont signés, ce jour-là, que ressentez vous ?

T.a.Z : J’ai vu à la télévision tout le processus de l’accord de paix de Camp David. J’étais très en colère contre cet accord.
 
RFI : Est-ce à ce moment-là que votre groupe va naître officiellement et à partir de quel moment vient cette idée de l’élimination physique de Sadate ?

T.a.Z : Je pense que c’était une idée beaucoup plus liée à la politique intérieure de Sadate qu’à sa politique étrangère. Mais l’accord de Camp David (17 septembre 1978) est l’une des raisons qui nous a incités à cet acte violent. Et surtout parce qu’on avait vu qu’il est sorti du cadre, il manquait de respect à l’égard des arabes, et des musulmans et aussi il nous obligeait à accepter une paix qui n’aboutissait pas par un accord de tous les partis, de tout le monde arabe et musulman.
 
RFI : Est-ce que tuer Sadate, ça voulait dire, pour vous, tuer la politique de Sadate, et donc arrêter cette politique ?
 
T.a.Z : Effectivement, notre objectif était d’éliminer Sadate et sa politique. Notre stratégie pour 1984 était de préparer une révolution populaire complète contre le régime de Sadate. Mais quand les services de sécurité, en 1981, ont découvert que nous étions en train de préparer en secret cette opération, nous avons opté pour une opération plus rapide pour arriver à notre but.
 
RFI : Au-delà de l’élimination physique du président Sadate, le but était bien de prendre le pouvoir ?

T.a.Z : Non, notre but, en 1981, était d’éliminer ce pouvoir ; et en 1984 de créer une révolution de tout le peuple contre la tyrannie de ce pouvoir.
 
RFI : Est-ce qu’à ce moment-là, pour vous, la révolution iranienne était un modèle, un exemple intéressant ?

T.a.Z : La révolution populaire iranienne nous a encouragés et a encouragé tous les peuples dans la région. C’était un symbole, un exemple impressionnant. Nous avons voulu le copier, parce que pour nous, le Shah était la copie conforme de Sadate. C’était le même système avec des pouvoirs soumis à l’Occident. 
 
RFI : Vous avez été incarcéré pendant 30 ans, ici en Egypte. Comment avez-vous été traité pendant ces années de prison ?

T.a.Z : Le juge avait décidé que je devais faire 20 ans de prison et je devais donc sortir en 2001. Mais le régime de Moubarak ne voulait pas me libérer et je suis resté 10 ans de plus en prison. J’étais soumis à des pressions du régime Moubarak qui voulait que je coopère avec lui. Mais je suis très content de ne pas avoir suivi cette ligne, au contraire, j’étais en train de lutter contre ce régime. Et je vois qu’on doit lutter d’une façon pacifique contre cette tyrannie, que l’on doit reconstruire notre dignité, reconstruire notre pays et voir notre futur d’une façon beaucoup plus productive.
 
RFI : Vous voulez dire que pendant ces 30 années, votre point de vue sur l’action politique que vous voulez mener a changé ? Vous ne croyez plus à la lutte armée ?

T.a.Z : Il y a plusieurs raisons qui m’ont fait changer. Ce n’est pas seulement la prison, mais il y a aussi un facteur important, l’âge. Avec l’âge, avec mes lectures et mes études aussi, j’ai vu que les opérations violentes ne servent à rien, on arrive à une route fermée, il n’y a pas beaucoup d'avenir. C’est pour cela que j’ai changé d'idées.

RFI : Aujourd’hui vous dites que vous ne souhaitez plus faire de la politique d’une façon violente, donc que vous renoncez à la lutte armée. Néanmoins, lorsque vous vous retournez et que vous regardez l’Histoire et donc cet assassinat, est-ce que cela représente une réussite ou finalement un échec  par rapport à votre projet politique ?

T.a.Z : En 1981, l'opération a été un succès en raison des systèmes politiques opprimants et tyranniques qui existaient dans la région. Donc c’était un succès de tuer Sadate. Mais en même temps, notre idée était d’éliminer toute cette tyrannie. Nous ne nous voulions pas que ces régimes continuent. Je pense qu’actuellement, cette idée a incité les peuples à se révolter. Et on voit maintenant l'apparition de ces révolutions.

RFI : De quel système politique rêvez-vous aujourd’hui pour votre pays, l’Egypte ?

T.a.Z : Le régime que j’aimerais serait un pays où règne la justice, un pays qui applique la loi, qui est modéré ; un pays d’égalité, concerné par les droits et libertés.

RFI : La loi est la loi islamique, la charia ?

T.a.Z : Ce n’est pas cette loi que l’on demande pour la période actuelle. A l’avenir, si le peuple veut l’application de la charia, ce sera sa décision. Pour le moment, c’est la loi civile.

J’ai un message pour votre auditoire français et pour toutes les sociétés occidentales. Il faut respecter et voir d’une façon positive les révolutions arabes qui se déroulent. Ces peuples ont, pour la première fois, décidé de choisir leurs gouvernants et leurs politiques intérieures. L’Ouest doit regarder ces peuples sans snobisme. Maintenant, nous sommes égaux. Est et Ouest doivent coopérer et se rassembler d’une manière ou d’une autre avec beaucoup de respect mutuel. L’ère des révolutions arabes est une opportunité pour les gouvernements occidentaux d’établir avec nous des relations politiques mutuelles concrètes, solides, sur une base d’égalité.
 

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