Dans «la pire des villes d’Afrique», avec Sefi Atta

Héritière d’une tradition littéraire prestigieuse, Sefi Atta appartient à la nouvelle génération d’écrivains du Nigéria qui sont en train de bousculer et renouveler la donne littéraire anglophone en Afrique. Paru récemment en français, son deuxième roman Avale fait entendre la voix de la jeunesse africaine contemporaine, à la fois désemparée et pleine d’espoir.

La Nigériane Sefi Atta a quitté le Nigeria il y a plus de vingt ans et vit aujourd’hui dans le Mississipi, aux Etats-Unis. Mais dans ses écrits, elle n’a jamais quitté son pays natal dont elle reste profondément nostalgique. L’éloignement ne l’a pas coupée de sa véritable source d’inspiration, le Nigeria postcolonial où hommes et femmes confrontés à l’autoritarisme, la corruption, la précarité et le sous-développement tentent de survivre tant bien que mal. Ses romans, ses nouvelles, ses pièces de théâtre racontent par le menu le quotidien de ses compatriotes, un quotidien souvent dramatique, plein de bruit et de fureur.

« Mes récits commencent comme des rêveries inspirées par des faits divers que rapportent les sites d’information nigérianes », expliquait récemment l’écrivain dont le deuxième roman vient de paraître en traduction française. Ce récit rédigé d’un style alerte, illustre à merveille l’art de Sefi Atta qui consiste à puiser dans la réalité la plus sombre le matériau d’une fiction émouvante et humainement riche.

Avale raconte l’amitié et la complicité entre deux jeunes femmes de la classe moyenne de Lagos, évoluant dans une métropole tentaculaire et impitoyable pour les défavorisés. Renvoyées de leur emplois de secrétaires par leurs patrons corrompus et libidineux, Rose et Tolani sont tentées par l’argent facile et deviennent des passeuses de drogue. La tragédie les attend au tournant…

Une narration d’ici et de maintenant

Sefi Atta, quarantenaire, fait partie de la nouvelle génération d’écrivains nigérians qui ont pris le relais de leurs aînés illustres : Chinua Achebe, Wole Soyinka, Buchi Emecheta, Flora Nwapu… Alors que ces derniers s’étaient donné pour mission de se réapproprier à travers leurs écrits fictionnels l’histoire de leur pays et de leurs peuples que les colonisateurs avaient gommée, la génération montante s’attache à raconter les heurs et malheurs du Nigeéria contemporain, ses dictatures, ses élites corrompues, ses guerres civiles et ses défaillances en tant que nation nourricière et protectrice. L’œuvre de Sefi Atta s’inscrit résolument dans cette narration réaliste d’ici et de maintenant.

Installée depuis 1994 aux Etats-Unis où elle exerce le métier d’expert-comptable, Atta a publié plusieurs nouvelles, des pièces de théâtre, avant de se lancer dans la fiction de longue haleine. Son premier roman Le meilleur reste à venir, paru aux Etats-Unis en 2005, a révélé au grand public son talent de conteuse et sa sensibilité féministe attestée par les rôles majeurs que les femmes jouent dans ses livres.

Les romans de Sefi Atta se caractérisent aussi par leur cadre résolument urbain. La romancière y brosse le portrait sans concession de Lagos, sa ville natale, où elle a situé l’essentiel de ses intrigues. L’action de son premier roman se déroule à la Victoria Island où vivent les riches et les expatriés. Son second roman Avale entraîne les lecteurs dans le Lagos populaire des trottoirs puants et des bus surpeuplés. « Lagos était la pire des villes, mais on s’y moquait des gens de l’intérieur du pays, comme si c’était un privilège de profiter du chaos et du déclin. Mon père disait que, à Lagos, personne ne pouvait revendiquer la terre. La ville était faite de ciment et de goudron, ceux qui plantaient leurs racines ici ne voyaient rien pousser. »

Retour au pays natal

C’est au sein de cette métropole miséreuse et monstrueuse qu’évoluent les deux protagonistes du roman, Rose et Tolani. Co-locataires, collègues et amies, elles se soutiennent, même si elles ont des tempéraments très différents. Rose est querelleuse et cynique. Elle change d’amants comme de chemises, alors que Tolani est une idéaliste qui rêve de mariage et d’amour. Mais les rêves de cette dernière s’effondrent comme des châteaux de cartes lorsque son petit ami s’enfuit avec ses dernières économies. C’est le début de la descente aux enfers des deux femmes broyées par la réalité tragique de leur pays.

Avale s’achève toutefois sur une note d’espoir avec le retour de Tolani au village ancestral. Contrairement à son amie, elle a réussi à survivre à la loi de la jungle qui régit la vie et la mort à Lagos. Son retour au bercail où elle va pouvoir se ressourcer au contact de la terre n’est pas sans rappeler la thématique du retour au pays natal comme antidote de la perte des valeurs et des racines si souvent célébrées par les écrivains de la génération de la négritude.


Avale, par Sefi Atta. Traduit de l’anglais par Charlotte Wolliez. Editions Actes Sud. 288 pages. 21,80 euros.
 

 

 

 

 

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