Interview d'Isodor Ndaywel, auteur d'«Histoire générale du Congo», ouvrage publié chez Afrique Editions. Par Christophe Boisbouvier.
RFI : Qui est Lumumba pour vous ? Un surdoué de la politique, un idéaliste, un naïf ?
Isidore Ndaywel : Lumumba est d’abord pour moi le père de l’Indépendance. C’est l’homme qui a le plus donné de lui-même, pour que le Congo devienne indépendant. Et ensuite c’est quelqu’un qui a payé de sa vie. Il incarne le nationalisme congolais.
RFI : Donc pour vous c’est un martyr de l’Indépendance ?
IN : C’est un martyr de l’Indépendance. Tout à fait.
RFI : Alors qui a tué Lumumba ? Mobutu ? Tshombé ? Les Occidentaux ?
IN : Je pense qu’on ne va pas prendre des raccourcis. On sait qu’il y a toute une coalition, essentiellement occidentale, avec des intermédiaires, évidemment, qui sont des Congolais.
RFI : Donc pour vous les vrais décideurs de son assassinat sont à Washington ? A Bruxelles ? C’est ça ?
IN : Absolument. Les choses sont de plus en plus claires. C’est fondé sur des informations fiables. Il y a des publications intéressantes, notamment cet ouvrage du Belge Ludo de Witte[L’assassinat de Lumumba, Khartala, 1999]… On a donc confirmation, et on voit même un peu plus clair dans tout ce qui a pu se passer.
RFI : Est-ce que les Français ont joué un rôle ?
IN : Peut-être pas directement, mais de toute façon, dès que la sécession Katangaise est déclarée, il va y avoir des mercenaires français.
RFI : A l’époque c’était la guerre froide. Est-ce qu’en se rapprochant de Moscou, Lumumba n’a pas commis quelques imprudences ?
IN : Ce n’est pas attesté qu’il se soit vraiment rapproché de Moscou. Mais il avait un franc-parler pour dire : « Si nous n’avons pas le soutien voulu, alors nous allons nous retourner vers l’Union soviétique ».
Nous savons très bien que lorsqu’il a eu des problèmes lors de la mutinerie de la force publique, sa première démarche a été de se tourner vers les Etats-Unis ! Mais nous savons que le président Eisenhower n’a pas voulu le recevoir. Il a même fait le voyage jusqu’aux Etats-Unis.
Nous savons également que toutes les promesses qui avaient été faites du côté soviétique, l’envoi des avions Iliouchine etc. Il n’y a rien eu. Et Lumumba s’est retrouvé seul. Mais il y a eu cet effort suicidaire, de tout de même essayer de réduire la sécession katangaise.
Et je pense que c’est dans cette démarche, dans cet effort, que non seulement il a trouvé la mort, mais c’est grâce à son sacrifice également que la sécession katangaise, finalement, sera résolue, puisque la sécession n’aura plus son bouc-émissaire. Et l’ONU et la Communauté internationale, devra bien reconnaître que puisque le « communiste »n’est plus en vie, il n’y a plus de raison pour justifier la sécession du Katanga.
RFI : Est-ce que le drame de Lumumba, justement, ce n’est pas d’avoir été le héros de l’Indépendance d’un pays très grand et très riche ?
IN : Je pense qu’il en était conscient. Il a été broyé par la guerre froide. Tout ça c’était nouveau, et la guerre froide, et le fait que le Congo devienne le terrain favori de la guerre froide, et finalement cette expérimentation de la présence des Casques bleus quelque part dans le monde.
RFI : De tous les chefs d’Etat qui se sont succédé depuis 1960, quel est celui qui
IN : Bien entendu, c’est Laurent-Désiré Kabila, puisque c’est un projet de jeunesse. C’est quelqu’un qui a été fortement révolté par ce qui s’est passé. Et finalement il s’est décidé à poursuivre ce combat, poursuivre cela à sa manière. Et voilà que, quarante ans après, il disparaît dans les mêmes conditions.
RFI : Est-ce que les différents chefs d’Etat qui se sont succédé n’ont pas essayé de récupérer le mythe Lumumba, justement ?
IN : Oui, mais cela me paraît assez normal, parce que les hommes politiques cherchent à avoir un point d’ancrage par rapport à l’icône. Je dois dire également, le parti politique, comme l’UDPS, le parti d’Etienne Tshisekedi.
RFI : Mais justement, à force d’être récupéré par tant de partis, par tant d’hommes politiques, est-ce que le mythe Lumumba n’est pas en train d’être dénaturé ?
IN : Je ne pense pas. Il y a la pensée politique de Lumumba. Il y a des éléments clés de cette pensée, qui restent des éléments de base, notamment le primat de l’unité nationales, sur tout autre élément. Et ça n’a pas été étonnant d’ailleurs, que nous ayons retrouvé ailleurs, comme notamment chez Thomas Sankara, l’insistance à des slogans comme « La patrie ou la mort. Nous vaincrons », qui étaient des slogans de Lumumba. Ce qui démontre que d’ailleurs son nationalisme était à la fois congolais et africain, africain-congolais, tout cela allait ensemble.
Reportage de Bruno Minas, à Massina, dans la lointaine banlieue populaire de Kinshasa où vit un chef traditionnel issu du même village que Lumumba dans le Kasaï ; c'est l’un de ses plus fervents adeptes.
C’est une petite case dans une cour où l’on vit au rythme du pilon. Le chef Jean-Jacques Osongo reçoit, brassière en peau de léopard, et chapeau en raphia orné de plumes de perroquet. Il est le grand chef traditionnel de Batetela, issu du même village que Patrice Lumumba. «Ce que j’ai de Patrice Emery Lumumba… je suis son successeur, en esprit, en intuition et je milite pour tout ce que Lumumba militait : l’unité du Congo, de l’Afrique et de tous les peuples du monde ».
Les Etats-Unis d’Afrique, l’idée chère à Kwamé Nkrumah et Lumumba, sont le credo du chef Osongo. Il en rédige même la constitution, une énorme pile de plusieurs centaines de pages posée dans le petit salon. Pour lui, Lumumba est le démocrate exemplaire : «Il était un véritable démocrate, le seul leader a travers le monde qui a lutté pour l’indépendance de son pays qui n’a pas été président de la République».
Tout à coup, le chef se lève comme un ressort, passe derrière un rideau et revient, chaussant des lunettes qui le font ressembler à Lumumba comme deux gouttes d’eau. Il jure que ce sont les vraies. «Lumumba, tout le monde le voyait avec les lunettes. Nous portons ces lunettes qui sont parvenues jusqu'à nous…ça, ce sont nos secrets personnels… »
Intarissable sur les Etats-Unis d’Afrique, le chef Osongo est moins bavard sur la classe politique actuelle. Il la regarde de loin… à travers les lunettes de Lumumba.
Pour en savoir plus :
.Douze Belges visés par une plainte pour l'assassinat de Patrice Lumumba
.«Lumumba», le film de Raoul Peck
.L'assassinat de Lumumba, de Ludo de Witte, Khartala, 2000
.Lumumba inédits: deux livres sur des aspects méconnus de la vie de Patrice Lumumba