Afrique, raconter l’indépendance dans la forme littéraire

Les indépendances africaines, vues par les écrivains. Ni afro-pessimisme ni nationalisme strident. Renaissances Africaines réunit une trentaine de textes d’écrivains sur le thème de l’indépendance. Cette publication fait partie des nombreux projets qui ont vu le jour à l’occasion des célébrations du cinquantenaire des indépendances africaines en cette année 2010. Elle s’inscrit dans le cadre d’un festival, L’Afrique visionnaire, qui s’est déroulé au Centre des Beaux-Arts de Bruxelles entre avril et septembre 2010.

 

Ce volume d’une centaine de pages est une invitation au voyage au cœur de l’Afrique d’hier, d’aujourd’hui et de demain, grâce à l’imagination de quelques-uns des écrivains africains les plus créatifs de notre temps. Textes de réflexions, poèmes, nouvelles, courtes scènes… L’ouvrage a été coordonné par le journaliste Bernard Magnier qui est aussi directeur de la collection Lettres africaines aux éditions Actes Sud. C’est lui qui a sollicité une cinquantaine d’auteurs, francophones, mais aussi anglophones et lusophones, leur proposant de raconter l’indépendance dans la forme littéraire de leur choix. « Indépendance… Une réalité ? Une conquête, une illusion, une utopie ? Un enjeu ? Une histoire du passé, un instant présent, un morceau d’avenir ? A vous d’en offrir une illustration… » Tel était le cahier des charges.

 
Indépendance kaki-caca
 

Les vingt-huit auteurs qui ont donné suite ne se sont pas contentés de raconter la réalité ou l’irréalité de l’indépendance. Ils l’ont surtout pensée, imaginée, recrée, moquée, avec souvent une grande inventivité formelle et métaphorique. Leurs réponses sont à l’image de la littérature africaine contemporaine : plurielles, ludiques, caustiques, tragiques, enfiévrées, fantastiques, subversives, drôles !
Le volume commence très fort avec une scénette satirique imaginée par le dramaturge togolais Gustave Akakpo. Le morceau s’intitule Indépendance kaki-caca. Tout est dit à travers ce titre, évocateur de tant de frustrations, de colères et de sentiments d’échecs ! Pour raconter les heurs et malheurs de l’Afrique des indépendances, Akakpo a choisi l’allégorie. Ses personnages ont pour nom l’homme-bailleur, l’homme avec une langue dans le dos, l’homme argenté, l’homme kaki-caca, la femme kalachnikov… En face d’eux, le révolutionnaire sans nom (on pense à Lumumba, à Sankara) qui prend la parole pour dire les dictatures, les guerres, l’endettement, la faim, l’impérialisme... Il proteste, il accuse, il dénonce, avant de se faire abattre par les sbires des puissants du monde que ses paroles dérangent. Mais un nouveau-né sort de son corps ensanglanté, au grand désespoir des hommes kaki-caca, armés par l’Occident !
Le romancier béninois Couao-Zotty a opté lui aussi pour la fable. Son héroïne promène un ventre qui n’a cessé de grossir depuis cinquante ans sans qu’elle parvienne à mettre bas. Pronostic du guérisseur appelé à son chevet : « Elle n’a jamais été enceinte (…) elle s’est inutilement enflée d’espoirs depuis cinquante ans. L’accumulation de ces promesses déçues et toujours reportées a fini par créer… » La nouvelle se clôt sur une promesse de guérison. Mais guérit-on jamais du désespoir ?

Une réflexion racialisée du développement africain
 

On lira aussi avec intérêt l’essai sous la plume du romancier sénégalais Boubacar Boris Diop qui propose une analyse critique et passionnante du concept de l’« afro-pessimisme ». « Il renvoie en général, écrit Diop, à des essais écrits à la fin des années 80 par Daniel Etounga Manguelle (L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?), Ka ä Mana (L’Afrique va-t-elle mourir ?) et Axelle Kabou (Et si l’Afrique refusait le développement ?), trois auteurs en rupture avec l’optimisme forcené de l’aube des indépendances. (…) La nouveauté de la démarche résidait surtout dans le refus de pointer un doigt accusateur sur l’Occident. Cherchant les causes endogènes de notre échec, l’afro-pessimisme laissait de côté la Traite négrière et la colonisation et en arrivait à la conclusion suivante : le problème de l’Afrique, c’est la culture africaine qui rend impossible les changements de mentalité nécessaire au développement. »
Avec ce texte de haute tenue intellectuelle, Diop livre un décorticage en règle des prémisses erronées d’un concept qui a fait les beaux jours d’une réflexion racialisée du développement africain et qui continue de façonner une certaine image négative de l’Afrique. Si l’on en croit l’auteur, sans l’afro-pessimisme, il n’y aurait peut-être pas eu ni Négrologie de Stephen Smith, ni « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » du président Sarkozy !
Ces trois textes pris au hasard donnent la mesure de la qualité de ce volume, riche en réflexions, analyses, mais aussi en métaphores et en intuitions. Que ses 28 contributions soient signées par des auteurs connus (Alain Mabanckou, Nimrod, Aminata Sow Fall, Kangni Alem, Gilbert Gatore, Sami Tchak, Abdourahman Waberi…) ou peu connus (Edem Awumey, Ibrahima Aya, Florent Nasser Mwanza…), elles ont en commun une inflexion imaginative, rhétorique et littéraire qui n’est pas étrangère au bonheur de lecture qu’elles procurent.
Elles proposent aussi une vision au long cours d’une Afrique qui, comme l’a écrit le romancier congolais Wilfried N’Sondé, « à force de liberté et d’originalité dans la réflexion (…) pourrait devenir cet espace où l’on osera inventer un avenir inédit ».

 
Renaissances africaines : Ecrire 50 ans d’indépendances/ African renaissance : Writing 50 years of independence. Publié dans le cadre du Festival L’Afrique visionnaire (avril-septembre 2010) au Centre des Beaux Arts (Bruxelles). Editeur : Bobazar Exo et Silvana Editoriale.

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