Nouakchott, une capitale sortie des sables

En juin 1957, le Conseil de gouvernement mauritanien prend sa première décision : rapatrier son chef-lieu, jusqu’alors établi à Saint-Louis au Sénégal*, sur son sol. Créer une capitale en terre mauritanienne est donc le premier acte fondateur de la République islamique de Mauritanie, trois ans avant l’indépendance : cette capitale sera Nouakchott.

Alors même qu’elle est choisie pour être capitale, Nouakchott n’est pas encore une ville. C’est «une dune où n’existent que quelques arbustes rabougris ensevelis sous le sable fin» écrit Moktar ould Daddah, premier président du pays, dans ses Mémoires**. Seule population : quelques centaines d’âmes regroupées autour d’un ancien poste militaire. Alors pourquoi ériger la capitale ici ? «Moktar avait une obsession : créer une capitale qui soit le symbole de l’État à naître», explique sa femme, Mariem Daddah. «Nouakchott, en plus de sa position littorale qui permettait de créer un port et de son climat clément, avait un atout majeur : sa position géographique, au carrefour du nord, majoritairement peuplé de Maures, et du sud, où vivent essentiellement des Négro-mauritaniens. Idéale pour incarner l’unité nationale

La pose de la première pierre, le 5 mars 1958, fonde donc à la fois la ville et l’État. Tout reste à construire.

La «ville pancartes»

«On surnommait Nouakchott la ville pancartes» raconte Mohamed Ali Chérif, ancien secrétaire d’État à la présidence, «parce que de grandes pancartes indiquaient qu’il y aurait ici une mosquée, là un ministère, mais rien n’était encore bâti».

Quand elle arrive à Nouakchott en janvier 1959, Mariem Daddah, la jeune parisienne, doit vivre quelques temps sous la tente car la «villa» de son mari, alors président du gouvernement provisoire, n’est pas encore terminée. Le Libanais Georges Nassour achète sans le voir un terrain sur le seul goudron en construction, pour découvrir «une crête de dune, que j’ai réussi à aplanir en offrant du sable à des voisins installés, eux, dans le creux d’une dune.» Georges Nassour, alors transporteur, participe au déménagement des fonctionnaires de Saint-Louis à Nouakchott. Certains trainent les pieds, et pour cause.

Pionniers des sables

«Nous étions un peu des pionniers» explique Mariem Daddah «l’eau venait en camion de Rosso, les générateurs d’électricité étaient capricieux, il y avait de terribles vents de sable et il fallait aimer la nourriture traditionnelle : zrig [lait de chamelle, NDLR] et viande de mouton». Quant à Moktar ould Daddah, il parcourt les pistes en 2CV et reçoit ses visiteurs dans un bureau qui n’offre que deux places assises.

En 1959, lorsque le président Charles de Gaulle vient visiter le site de la première pierre... catastrophe : il n’y a pas de lit assez grand pour lui, et pas de magasin, bien sûr, où en acheter. La représentation française doit en faire venir de Saint-Louis.

En 1960, une quarantaine de villas ont finalement été bâties ainsi que des immeubles à étages pour les fonctionnaires. «À l’entrée des ministères, on peut lire "Défense de venir causer " et il n’est pas rare de trouver une chèvre dans un couloir» se souvient Mohamed Mahmoud ould Weddady, un des premiers reporters de Radio Mauritanie. «Nous enregistrions nos émissions dans un garage avec un émetteur laissés par les Américains à Atar pendant la guerre, en 1940».

Le symbole de l’indépendance

À  l’approche de l’indépendance, Nouakchott est une petite ville administrative d’environ 5000 habitants, tout le monde se connait. Les sorties, ce sont des dîners entre amis, des jeux de damiers sous la tente.
Le 28 novembre 1960, faute de bâtiment «en dur» assez grand, c’est dans un hangar, construit pour l’occasion, que Moktar ould Daddah proclame l’indépendance. «Senghor, Houphouët-Boigny, tous nos hôtes ont dormi dans les appartements des fonctionnaires qui venaient d’être terminés…on peut dire qu’ils ont essuyé les plâtres» plaisante Mariem Daddah, avant d’ajouter, plus grave, «mais ce dénuement ne faisait que nous rappeler l’ampleur de la tâche qui était devant nous pour bâtir cette ville et ce pays». Et Moktar ould Daddah de dédier les derniers mots son discours d’indépendance à la capitale nouvelle, «symbole de la volonté d’un peuple qui a foi en son avenir

 

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* Devenue colonie en 1920, la Mauritanie, ainsi appelée depuis la conquête française de l’intérieur du pays, est rattachée à l’Afrique occidentale française. Elle est administrée depuis Saint-Louis, conjointement avec le Sénégal (colonie de Mauritanie-Sénégal).
** La Mauritanie contre vents et marées. Ed. Karthala. 2003.
 

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