Olivier Rogez RFI : Pensez-vous que les Guinéens voteront dans des conditions satisfaisantes et sécurisées dimanche prochain ?
Cellou Dalein Diallo : Pas sur l’ensemble du territoire malheureusement, parce que les militants et sympathisants de l’alliance « Cellou Dalein Diallo président », militants qui résidaient en Haute-Guinée, notamment à Siguiri et à Kouroussa, ne pourront pas accomplir leur devoir civique dans de bonnes conditions. Il faut compter plus de 15 000 électeurs, qui ont dû quitter leur résidence habituelle pour aller vers Conakry, Mamou, Labé, Pita, Dabola, Dinguirai.
RFI : 15 000 personnes, ce chiffre vous le tenez de vos propres sources ?
CDD : Oui, de mes propres sources, selon les estimations que nous avons reçues. Nous avons envoyé une mission à Dinguirai, à Dabola, à Mamou, et à Labé également. Les gens ont été régulièrement recensés.
RFI : Rappelons que les 23 et 24 octobre derniers, des violences ont éclaté dans la ville de Siguiri et dans cette région, dans plusieurs autres villes. Les gens ont été obligés de partir. La Céni a néanmoins proposé que ces personnes puissent voter sur les lieux où elles se trouvent actuellement. Est-ce que cette mesure vous satisfait ?
CDD : Oui, dans une certaine mesure. Mais jusqu’à présent, on n’a pas encore défini les modalités par lesquelles ces citoyens vont exprimer leurs suffrages. Nous avons déjà saisi les autorités pour suggérer que le vote soit annulé à Siguiri, à Kouroussa notamment, où nous ne pourrons pas nous faire représenter dans les bureaux de vote. Nous ne pourrons pas désigner d’assesseur, nous ne pourrons pas désigner de délégué. Et dans la mesure où tous nos militants ont été chassés de cette zone, dans ce cas, il n’y aura pas égalité entre les deux candidats.
RFI : Mais malgré les appels au calme lancés par le général Konaté, malgré les mesures prises par le gouvernement, vous ne pouvez pas rapatrier ces gens et faire en sorte qu’ils soient en sécurité et que la situation puisse ainsi se débloquer ?
CDD : Ecoutez… Moi, je trouve que le gouvernement n’a pas pris suffisamment au sérieux ce problème. Je pense que le gouvernement devrait prendre des mesures, donner des signaux beaucoup plus importants pour marquer sa désapprobation et condamner ces actes. Je n’ai pas entendu parler de décisions allant dans ce sens de la part du gouvernement de transition.
RFI : Par avance, vous récusez le vote de Siguiri et Kouroussa ?
CDD : Oui. On estime que les conditions d’un scrutin équitable et transparent ne sont plus réunies et notamment à Siguiri ou à Kouroussa, où on n’a plus de militants, on n’a plus d’assesseurs, on n’a plus de délégués pour les bureaux de vote.
RFI : D’une façon générale, la campagne électorale, ces dernières semaines, a été marquée par une montée des tensions entre les deux communautés ; peuls et malinkés, à tel point qu’on redoute aujourd’hui des confrontations à caractère ethnique. Comment faire en sorte d’apaiser la situation ?
CDD : D’abord il faut situer les responsabilités. Le candidat de l’Alliance arc-en-ciel, le candidat du RPG [Alpha Condé], a montré son incapacité à traiter toutes les régions sur le même pied d’égalité pendant la campagne. Il n’est jamais allé en Moyenne Guinée pour faire la campagne. Et il a suscité cette haine contre les ressortissants de cette communauté. Je pense que ce n’est pas responsable de sa part. Quelqu’un qui aspire à être le président de tous les Guinéens ne peut pas avoir un tel comportement, parce que les violences survenues à Siguiri et en Haute-Guinée ont bien été suscitées par le RPG et ses alliés.
RFI : Donc, vous rendez Alpha Condé responsable de cette tension ethnique ?
CDD : Oui, absolument. Il est toujours arrogant et haineux. Et malheureusement, il est en train de diffuser cette arrogance et cette haine au sein de ses partisans, au point qu’aujourd’hui on a beaucoup de violences, aussi bien à Conakry qu’en Haute Guinée.
RFI : Mais lorsqu’on vous entend parler comme ça d’Alpha Condé, on n’entend pas non plus un discours très conciliant. Ne craignez-vous pas que cela entraîne vos militants à plus d’intransigeance ?
CDD : Pas du tout. Ces mêmes militants savent que j’ai toujours essayé de prêcher l’apaisement. J’ai toujours demandé de leur part de la retenue. Voyez-vous, au niveau de la Moyenne Guinée, il n’y a jamais eu de mesures de représailles de nature à inquiéter les ressortissants de la Haute Guinée vivant en Moyenne Guinée.
RFI :Parmi toutes les attaques qu’on entend contre votre personne, on entend souvent dire : si les Peuls ont le pouvoir politique, ils auront à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique. C’est beaucoup. Que répondez-vous à ceux qui pensent comme ça, ou qui colportent ces idées ?
CDD : D’abord je ne suis pas le candidat d’une région ou d’une ethnie. Je suis le candidat de la Guinée. Je veux être le président de tous les Guinéens. Et j’ai eu à exercer de hautes responsabilités. Que ce soit dans la localisation des projets dont j’ai assuré la promotion, que ce soit dans le choix de mes collaborateurs, je n’ai jamais privilégié une région. Je resterai fidèle à cette attitude, à ce comportement, qui visent à traiter tous les citoyens de ce pays, toutes les régions de ce pays, sur un pied d’égalité. Je ne suis pas le candidat d’une ethnie, je ne suis pas le candidat d’un groupe particulier, je ne suis pas le candidat d’une puissance étrangère. Je suis le candidat de toute la Guinée et je veux être le président de tous les Guinéens.
RFI : Sur le plan politique, vos adversaires vous reprochent d’être un produit de l’ancien régime ; du régime Lansana Conté, et à ce titre, d’être comptable des échecs, notamment en matière de développement. Avez-vous à rougir de votre bilan, tout d’abord, et comment réagissez-vous à ces attaques ?
C DD : J’ai été ministre du Budget de Lansana Conté pendant une dizaine d’années. J’ai été son Premier ministre. Je l’assume. J’ai été responsable de secteurs précis, où j’ai un bilan dont je suis très fier : dans la modernisation des infrastructures, dans le désenclavement de certaines régions. Les ouvrages sont là, les routes sont là. Et si être ministre de Lansana Conté devait être un handicap, eh bien, Alpha Condé en aurait beaucoup plus que moi, parce qu’il a fait l’exploit de réunir plus de ministres de Lansana Conté au sein de son alliance que moi-même.