Marie-Agnès Sevestre, directrice des Francophonies en Limousin, présente l'édition 2010

La 27e édition des Francophonies en Limousin s’ouvre ce jeudi 23 septembre. Le Festival consacre une place importante au cinquantenaire des Indépendances africaines. Sa directrice, Marie-Agnès Sevestre, gère depuis janvier 2006 le déclin d’un festival qui n’a plus les moyens de ses ambitions. La programmation de cette nouvelle édition est malgré tout riche. Même si le festival a dû être écourté faute d’argent et les propositions artistiques réduites. Entretien.

RFI : Comment se présente cette nouvelle édition des Francophonies ?

Marie-Agnès Sevestre : Elle débute en pleine grève nationale ! Je ne suis pas certaine qu’on puisse assurer les premières. Je désespère un peu. D’autant que cette année, les réservations n’ont pas été à la hauteur des espérances. Est-ce la crise qui fait que les gens vont moins au théâtre ? Nous nous attendions à une baisse des fréquentations. Notre budget a baissé de près de 20 % suite à la suppression de la subvention du ministère des Affaires étrangères. Par conséquent, nous faisons moins de propositions et cela réduit d’autant les fréquentations.

RFI : Comment le ministère a-t-il expliqué cette suppression ?

M.-A. S. : Avant 2008, la subvention s’élevait à quelque 135 000 euros. C’est une perte sèche. Au-delà de la question des économies ou de la volonté de la France de se retirer du réseau France-Afrique, il s’agit d’un manque général d’ambition en termes de circulation des idées, des cultures, des hommes. Pour moi, désormais, le festival des Francophonies se trouve en résistance !

RFI : « Résistance » !

M.-A. S. : Oui, par rapport à ce que fut notre statut autrefois. Nous avons été pendant longtemps un festival plutôt institutionnel, politiquement soutenu au niveau gouvernemental. Dans le nouveau contexte de désengagement de l’Etat de la chose culturelle, les Francophonies, animées par le désir d’instaurer « une pédagogie Sud-Nord » chère aux pères fondateurs, notamment à Pierre Debauche, font tache. Nous faisons figure de vestiges d’un autre temps où il y avait un vrai investissement dans la coopération et la recherche universitaire et culturelle. Le travail que nous faisons pour faire émerger un continent francophone, nécessairement pluriel, n’est guère soutenu au niveau politique par une pensée sur le développement et sur la place de la langue française dans une planète mondialisée.

RFI : Vous avez évoqué la pédagogie Sud-Nord. Comment les Francophonies ont-elles réussi à instaurer cette pédagogie ?

M.-A. S. : Je dirais « par la force des choses ». Lorsqu’il a créé les Francophonies, en 1984, Pierre Debauche était confronté au problème de néocolonialisme artistique. La création théâtrale africaine avait du mal à s’affirmer de manière autonome. Les choses ont évolué au cours des vingt dernières années de telle sorte que la réalité d’aujourd’hui va beaucoup plus loin que la volonté de Debauche. L’avènement de grands festivals de théâtre en Afrique même, notamment en Afrique de l’Ouest, la création de centres de formation sur place font que l’Afrique a de moins en moins besoin de la France. D’ailleurs, nous, les Français, nous n’avons plus les moyens de financer des spectacles africains. Je ne pourrais pas produire un spectacle de Faustin Linyekula ou de Wajdi Mouawad qui sont des artistes d’envergure internationale. Nous avons toutefois un savoir-faire en tant que têtes chercheuses et révélateurs de talents. C’est dans ce sens que les Francophonies doivent évoluer, à mon sens.

RFI : Quel est le fil rouge de la programmation de cette nouvelle saison ?

M.-A. S. : L’adolescence et la jeunesse sont les thèmes majeurs de cette année, notamment dans les spectacles occidentaux. C’est sans doute Le Chagrin des ogres, le spectacle du jeune metteur en scène belge, Fabrice Murgia, qui incarne le mieux cette veine à travers sa représentation à la fois réaliste et onirique du malaise de la jeunesse d’aujourd’hui.

 

RFI : Le Festival consacre aussi une place importante au cinquantenaire des Indépendances africaines.

M.-A. S. : Oui, c’est le deuxième fil rouge de cette saison. Le sujet sera abordé dans le cadre du débat intitulé Les artistes dans les Indépendances, mais aussi dans le spectacle de Papy Mbwiti et Marie-Louise Bibish Mumbu, de RD-Congo qui s’appelle Et si on te disait Indépendant ? Nos 50 bonnes raisons d’espérer. Ce qui frappe chez les artistes africains, c’est leur regard résolument tourné vers l’avenir. Ils tournent le dos aux frustrations du passé pour égrener les raisons d’espérer. C’est cet optimisme et cette confiance dans l’avenir qui expliquent peut-être l’effervescence culturelle que j’ai pu voir dans certaines capitales africaines, notamment à Maputo, Ouagadougou ou Kinshasa. J’ai été sidérée par la qualité des spectacles auxquels j’ai assisté à Kinshasa. Il y a pléthore de talents dans les domaines de la musique, du théâtre, de la danse ou des arts plastiques. Je pourrais monter un festival uniquement avec ce qui se passe à Kin !

RFI : S’il fallait citer trois spectacles à ne pas rater…

M.-A. S. : C’est une question difficile pour la directrice que je suis. Je prends le risque quand même. Il faut absolument voir Amnesia du Tunisien Fadel Jaibi, qui est un dramaturge politiquement très engagé. Avec cette pièce qui a été interdite dans son pays, il livre une fable à la fois politique et humainement riche. Je recommande également très vivement Ouverture Alcina de l’Italien Marco Martinelli. C’est une véritable performance théâtrale, musicale et vocale. Enfin,à ne pas rater Domaine public.  Le spectacle est dans la rue et les spectateurs en sont les véritables acteurs. Je n’en dirai pas plus.

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