Chouf-Ouchouf : Acroba-tease théâtrale

Après avoir reçu l’approbation de la création théâtrale au Festival d’Avignon, le Groupe acrobatique de Tangers’est produit au Palais Royal lors du festival « Paris Quartier d’été ». Douze acrobates marocains ou l’art de lâcher les mouvements spectaculaires pour se propulser vers un nouvel équilibre entre force et poésie. C’est le spectateur qui se retrouve en position de « catcher », obligé de rattraper leur lancée artistique. La tournée européenne de ce spectacle créé en collaboration avec le duo suisse Zimmermann & de Perrot se prolonge jusqu’en mai 2011.

Quand le public entre, les douze acrobates se chauffent déjà sur scène, ils jouent au foot avec leur joggings bleus « Equipe acrobatique de Tanger ». Les jeux sont faits, place à l’univers artistique. Le véritable début est marqué par un show à l’améri… pardon marocaine : musique à fond, gestes spectaculaires, applaudissements à gogo… « L’acrobatie marocaine est unique au monde. C’est avant tout un outil de guerre qui a été utilisé par les combattants de l’époque pour espionner l’ennemi » raconte Sanae El Kamouni, la directrice du Groupe acrobatique de Tanger. La grande spécialité, ce sont les pyramides humaines. Les acrobates, les ‘rma’, s’en servaient pour espionner l’ennemi, pour savoir ce qui se passait à l’autre côté du mur  ».

Une nouvelle raison d’être pour l'acrobatie

Très vite, un autre rythme s’installe sur scène : la force laisse place à la poésie, les mouvements acrobatiques « conventionnels » se mettent au service de la création.

Visiblement, l’acrobatie a trouvé une nouvelle raison d’être et avec cette écriture innovatrice et artistique elle a mérité l’entrée au temple de la création théâtrale, le « In » - Festival d’Avignon http://www.festival-avignon.com/. « On l’espère bien, remarque Sanae El Kamouni. Avignon, c’était un vrai moment de bonheur pour nous tous. C’était un moment rêvé pour les artistes. Il est évident qu’être programmé dans le « In » à Avignon, c’était une grande fierté pour toute notre équipe. C’était aussi un moment où on s’est remis en cause par rapport à ce qu’on faisait avant, à ce qu’on a envie de faire demain. C’est clair, maintenant on est dans un autre univers que les artistes ne connaissaient pas avant. Nous sommes dans la création contemporaine, maintenant ils baignent dans cet univers là. Je pense qu’on va continuer dans cette démarche ».

« Pour le théâtre, il faut être artiste »

A côté de la scène, il y a une poubelle (pour y mettre les idées reçues sur les acrobates marocains ?) et des dizaines de cadavres de bouteilles d’eau en plastique. La soif de ceux qui veulent traverser la mer méditerranéenne ? Younes Hammich, 31 ans et acrobate dès l’âge de trois ans et demi, témoigne que le spectacle l’a profondément transformé. Il s’est débarrassé de plus en plus du cadre de l’acrobatie traditionnelle pour attirer l’attention autrement plus artistique. « Pour le cirque, il faut juste montrer ton numéro, pour le théâtre, il faut être artiste. On doit se changer soi-même à l’intérieur, on doit sentir quelque chose à l’intérieur de soi qu’on peut exprimer ensuite. Ce n’est pas le cas au cirque traditionnel ».

Younes fait partie des douze artistes qui grimpent sur un mur monstre, se faufilent dans le labyrinthe des colonnes, sautent dans le vide, se catapultent vers le ciel… et chantent. « Chouf Ouchouf », c’est le titre de la pièce, mais également une chanson mélancolique à mourir. « C’est une chanson traditionnelle que tout le monde en Maroc connait. La chanson parle des gens qui prennent le bateau pour aller en Espagne, en France, explique Younes. Chouf Ouchouf signifie : Regarde et regarde encore. Je quitte mon pays, je vais ailleurs, mais je suis malheureux. Parce que l’Europe n’est pas comme tu l’as imaginé dans ta tête : un endroit où on trouve de l’argent, du travail… Non, la vie en Europe est difficile. Quand on arrive en Europe, on est comme un orphelin. La musique parle de cela ».

Le ballet de cris de la médina

Les mélodies, les paroles, le rythme, les ambiances sonores, c’est l’œuvre du duo suisse Zimmermann & de Perrot. Le DJ-compositeur Dimitri de Perrot a longuement travaillé avec les artistes sur la musique pour arriver à rythmer les mouvements sur scène comme une journée dans les souks du Maroc à l’instar de cette sublime balade sonore en forme de ballet de cris : « Ce sont les cris de la médina, confie Sanae El Kamouni. Ce sont des sons qu’on peut entendre dans la nuit obscure dans les petites ruelles de la médina à Tanger. Pour la petite histoire : Dimitri de Perrot a vécu dans la vieille médina, là où les artistes habitent. Il s’est beaucoup inspiré dans la composition musicale du spectacle de tous les sons qu’il a entendu à des moments différents de la journée : le matin avec les souks et les marchés ou les sons nocturnes qu’il a entendu à quatre heures du matin, entre les chats qui passaient, les chiens, les moutons sur la terrasse ».

« Le décor est un acteur »

La musique est le fil conducteur qui relie les numéros, les ambiances, la femme voilée, l’homme qui porte quatre autres hommes, le décor qui se transforme de mur monumental en colonnes filigranes, en caisses prison, en marches vers la liberté. « Le décor est un acteur, il joue un rôle très important, il est manipulé par les artistes du début du spectacle jusqu’à la fin. C’est très précis, très rigoureux, on n’a pas le droit à l’erreur. C’est la mécanique suisse qui était imposé par le duo suisse ».

Résultat : un spectacle unique. Bizarrement, au début, on ne s’explique pas pourquoi. Les acrobaties sont bien exécutées, mais nullement époustouflantes. La musique bien rythmée reste sans réelle originalité. La chorégraphie est écrasée par le décor souvent surprenant sans être innovateur. La recette miracle de cette pièce tient dans l’attitude profondément humaine et humble des acteurs et dans l’alchimie des différents ingrédients. C’est l’acrobatie qui rend le chant des acrobates touchant. Le décor aide les acrobates à devenir acteurs. La musique profite des sauts spectaculaires. L’histoire de l’acrobatie marocaine donne aux gestes une profondeur et l’esprit d’équipe se révèle comme la star de la pièce qui recueille l’applaudissement du public.

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