On n’a jamais autant parlé football dans une rencontre économique et politique qu’au Sommet Inde-Afrique 2015 qui se tient en ce moment même à New Delhi. Il se trouve que les Indiens sont aussi friands du football que du cricket, et les diplomates et les politiques du sous-continent peuvent passer des heures entières à refaire les matches entre, par exemple, East Bengal et Mohun Bagan, clubs légendaires de Calcutta. Et comme il se trouve aussi que de plus en plus de joueurs africains évoluent dans les grands clubs indiens de football, les conférences de presse du sommet sont parfois émaillées de noms étranges qui n’ont rien à voir ni avec « partenariats économiques » ou montants de « prêts concessionnels » que l’Inde va consentir à l’Afrique cette année, thèmes sur lesquels planchent avec gourmandise les délégations africaines et indiennes depuis le 26 octobre.
Un jeu puissant et haut en couleurs
Mboyo Iyomi, Suleh Musa, Odafe Onyeka Okolie, pour n’en citer que ceux-là. Près de 400 Africains jouent dans des équipes indiennes. On dénombre 25 footballeurs africains dans les groupes qui participent à la « I- League », le plus grand championnat professionnel organisé en Inde. Ils viennent du Nigeria, du Ghana, du Liberia, du Sierra Leone, voire du Soudan du Sud, la plus jeune nation africaine.
« Les Africains ont un jeu puissant, haut en couleurs, ce qui n’est certainement pas étranger à l’intérêt grandissant pour le ballon rond à travers le pays », écrivait un journaliste indien. Pour l’Anglais David Booth, coach de Mumbai FC, compter dans leurs rangs des joueurs de qualité africains est la meilleure chose qui soit arrivée au football indien. « Parce qu’ils sont à la fois excellents techniciens et pédagogues, les subsahariens se sont imposés comme des joueurs phares de leurs équipes », explique Booth. Et d’ajouter : « Les jeunes Indiens, qu’ils jouent aux côtés des Africains ou dans l’équipe adversaire, ont énormément appris des Africains tant sur le plan technique que sur celui de résistance physique. »
C’est en 1979 qu’un footballeur africain a joué pour la première fois dans une équipe indienne. Il s’appelait David Williams. Il avait été engagé par un club de Calcutta, la véritable Mecque du football indien. Le East Bengal, qui vient de fêter ses 70 ans d’existence, a été aussi le premier club indien à remporter des coupes à l’international. Cela s’est passé lorsque le capitaine de l’équipe de Calcutta s’appelait Suley Musah. Sous la direction de ce défenseur ghanéen, East Bengal a remporté en 2003 coup sur coup trois championnats : la coupe ASEAN, le championnat de la « National Football League » et la « Kolkata League ».
Une expérience jouissive
Les joueurs africains se sont révélés être les meilleurs marqueurs de but dans les championnats locaux. La palme en la matière revient sans doute aux Nigérians Emeke Ezugo et Cheema Okerie qui étaient les stars des équipes indiennes de Calcutta dans les années 1980. Le jeu agressif et puissant du duo avait marqué les imaginations et suscité des vocations parmi les jeunes Indiens. Ils avaient aussi ouvert la porte aux autres Subsahariens qui voulaient venir tenter leur chance au pays de Gandhi et de la « vache sacrée ». Beaucoup sont depuis venus en tant qu’étudiants, avant de se recycler en football, car les joueurs africains sont plutôt grassement payés par les clubs.
Quatre cent mille dollars, c’est ce que touche l’attaquant nigérian Odafe Onyeka Okolie, la star de Mohun Bagan, une autre équipe légendaire de Calcutta. Un compatriote d’Odafe, Ranty Martins, qui joue pour l’United FC figure lui aussi parmi les joueurs les mieux payés de l’Inde. « Mais l’argent n’est pas la seule raison de notre venue en Inde », explique l’attaquant congolais Mboye Iyomi dont les nombreux buts n’étaient pas étrangers à la qualification de son club Dempo, il y a deux ans, à son entrée dans le championnat de la Asian Football Confederation.
« C’est l’Inde qui a fait ma réputation et pas le contraire», aime répéter Odafe. « Si j’étais resté dans mon pays, poursuit le Nigérian, je n’aurais jamais connu cette célébrité. L’Inde est spécial footballistiquement parlant. Elle a de très bons joueurs. Jouer avec eux fut une expérience particulièrement jouissive. »