On n’avait plus le droit de travailler dans d’autres pays d’Afrique noire si on avait un visa sud-africain dans son passeport. Parce que l’Afrique du Sud était à juste titre mise au ban de ce continent.
J’ai suivi toutes les luttes de Nelson Mandela et de ses compagnons. J’étais un fan de Johnny Clegg, le « zulu blanc ». J’étais un amoureux transi de Miriam Makeba. J’ai suivi les luttes de l’ANC (African national congress) : les meurtres et tout ce qu’il y a eu de sordide. Jusqu’à cette prise de position intelligente, réaliste – mais pas seulement – de (Frederik) de Klerk qui a décidé d’ouvrir ce pays, pour qu’il devienne un peu « arc-en-ciel ». Puis, il y a eu la libération de Nelson Mandela et l’instauration de ce pays multicolore, même s’il reste encore beaucoup à faire. Le charisme de Mandela a permis une transition en douceur, ce qui est absolument incroyable vu tout ce que les gens ont subi.
Mon premier séjour en Afrique du Sud, c’était en 1996. J’étais venu pour la Coupe d’Afrique des nations. Canal Plus m’avait demandé de couvrir cette CAN avec Philippe Doucet et Grégoire Margotton. Or, un jour, le président de la CAF Issa Hayatou, qui était mon président quand je dirigeais l’équipe du Cameroun, m’a dit ‘il y a un diner ce soir avec le président Mandela et j’aimerais bien que tu viennes’. Moi, j’étais comme un môme. Mandela était là avec sa petite-fille, pas très loin de moi. J’ai pu échanger quelques paroles avec lui.
J’ai eu des moments comme ça dans ma vie, où j’ai pu rencontrer des peintres, des sculpteurs, des écrivains et bien d’autres ; Aimé Césaire dans sa maire de Fort-de-France, le président Senghor dans sa propriété en Normandie, Nelson Mandela à Johannesburg…
J’ai d’autant plus ressenti le charisme de Nelson Mandela que j’ai eu la chance d’être à la tête d’une sélection mondiale pour ses 89 ans, au Cap. J’y ai passé plusieurs jours avec mon épouse. Elle a été très marquée aussi par ce moment-là. Parce qu’on a visité Robben Island avec les compagnons de prison de Mandela, dont certains ont également passé 27 ans là-bas. Ils ont expliqué à cette occasion le rôle qu’avait joué le football.
Il faut en effet rendre un grand hommage à la Fifa, puisque l’Afrique du Sud (de l’apartheid) pouvait disputer la Coupe Davis de tennis, les grands matches de rugby. En revanche, la Fifa avait mis cette Afrique du Sud au ban du monde du football. Or, il y avait un petit terrain de foot en contrebas de la prison de Robben Island. Les prisonniers s’y entraînaient tous les jours et y disputaient des matches. Les compagnons de Mandela savaient qu’au moins un organisme, la Fifa, les suivait. Ils savaient qu’avec l’apartheid jamais l’Afrique du Sud n’intégrerait le concert des nations du football. Alors que cette Afrique du Sud était acceptée aux Nations unies et dans d’autres sports.
Je vais faire un aveu : en 2006, une délégation sud-africaine est venue à Paris pour me rencontrer et me proposer le poste de sélectionneur. Je venais de quitter la République démocratique du Congo. On a longuement échangé. Je leur ai expliqué comment j’envisageais l’amélioration du football sud-africain. J’ai toujours dit que le football sud-africain, c’était une merveilleuse enveloppe avec des stades magnifiques, des terrains magnifiques, des ballons magnifiques, des maillots magnifiques. Mais que la lettre dans cette enveloppe était pleine de fautes d’orthographes : sur la qualité des entraînements, sur le rythme des matches de ce championnat…
Quand, j’ai quitté les dirigeants sud-africains, j’ai senti qu’ils étaient séduits et choqués. Parce que je ne leur avais pas dit que tout était merveilleux dans leur football. Je leur ai dit qu’il y avait un travail fou à faire en quatre ans (jusqu’au Mondial 2010) et qu’il y avait matière à mettre en place une grande équipe nationale. Une sélection qui ne se serait pas contentée de défendre mais qui aurait proposé un football plaisant, d’attaque. Le football que je revendique. Les contacts ont continué un petit peu. Et un jour, un peu par hasard, j’ai appris que la Fifa avait poussé très en avant la candidature de Carlos Alberto Parreira. Je ne suis pas devenu le sélectionneur de cette équipe d’Afrique du Sud pour la Coupe du monde.
S’il y a quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est la rancœur, la rancune, c’est bien moi. Mais j’ai été déçu car j’étais persuadé qu’il y avait vraiment un formidable travail à faire en quatre ans.
Claude Le Roy est le sélectionneur de la République démocratique du Congo. Il nous fait vivre sa CAN au travers de propos recueillis et retranscrits. Le technicien français dispute en Afrique du Sud sa 7e compétition continentale après avoir dirigé le Cameroun (en 1986 et 1988), le Sénégal (en 1990 et 1992), le Ghana (en 2008) et la RDC déjà (en 2006). La RDC qui évolue dans le groupe B à Port Elizabeth en compagnie du Ghana, du Mali et du Niger.