De notre envoyé spécial à Durban,
De toutes les grandes nations du football, l’Espagne est celle dont le palmarès est le plus famélique : deux Euros, en 1964 et 2008, et une quatrième place lors de la Coupe du monde 1950. Ce maigre bilan ne saurait s’expliquer par le manque de talents. Certes, les grands clubs espagnols vont depuis toujours chercher leurs vedettes à l’étranger, mais les champions locaux n’ont jamais manqué. Et les naturalisations des Di Stefano et autres Puskas ont renforcé la sélection espagnole en leur temps.
L’une des raisons traditionnellement avancées pour expliquer l’incapacité espagnole à briller dans les compétitions internationales réside dans la division de ce royaume composé de peuples qui ont parfois du mal à s’identifier à une seule et unique nation, à commencer par les Basques et les Catalans. C’est que l’affaire est sérieuse dans un Etat dont la Constitution «reconnaît le droit à l'autonomie des nationalités qui le composent».
Les fédérations communautaires revendiquent une équipe nationale
Avec la chute du franquisme et la libéralisation des mouvements indépendantistes, à la fin des années 1970, les rivalités et mésententes entre joueurs des différentes communautés ont pu entraîner des contre-performances de l’équipe espagnole. Depuis de nombreuses années, les fédérations basque, catalane et galicienne revendiquent leur droit à faire jouer une équipe nationale de football, à la manière de leurs homologues galloise, écossaise ou nord-irlandaise. Les matchs amicaux qu’elles organisent font régulièrement office de caisse de résonance à leur requête.
Pourtant, dans un contexte tendu entre Madrid et les riches régions périphériques que sont le Pays Basque et la Catalogne, l’Espagne se met enfin à gagner en football. En témoignent son titre européen en 2008 et son parcours au Mondial 2010. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que la Seleccion bénéficie d’un climat apaisé. Xavi Hernandez, le Catalan, déclare : « Ma sélection, c’est celle de l’Espagne, mon pays. » Iker Casillas, le gardien pur madrilène, avoue entretenir les meilleures relations au sein de l’équipe nationale avec les Catalans Xavi et Puyol, et se déclare favorable à un retour de la sélection sur une pelouse basque… quarante-trois ans après. Les joueurs semblent éloignés des tensions nationalistes qui parcourent la société espagnole, et dont le football n’est pourtant guère épargné. Ainsi, Xabi Alonso, dont le père a évolué au Pays Basque (Real Sociedad) et en Catalogne (FC Barcelone), porte aujourd’hui sans complexe les couleurs du Real Madrid… tout en parlant basque à la maison.
A l’étranger, tous Espagnols
La raison est peut-être à chercher dans l’expatriation de plus en plus fréquente des jeunes joueurs. En Angleterre, le Madrilène Fernando Torres (Liverpool), le Basque Xabi Alonso (ex Liverpool) ou le Catalan Cesc Fabregas (Arsenal) sont regardés comme Espagnols avant tout. Et puis il y a la logique sportive. En l’absence de toute perspective pour les sélections communautaires, non reconnues par la Fifa, la participation aux grandes compétitions internationales passe par le maillot rouge de l’Espagne. Enfin, un contexte plus général d’intégration nationale, dû au dépassement de l’idée indépendantiste dans certaines couches de la population, peut encore jouer un rôle dans cette subtile et délicate alchimie. Pour preuve, l’union sacrée des joueurs est en partie relayée dans le grand public qui se reconnaît de plus en plus dans la Seleccion, quelle que soit sa communauté. Le choc des huitièmes de finale entre l’Espagne et le Portugal a ainsi été suivi par plus de deux millions de Catalans et près de 600.000 Basques, pour une part d’audience de 66%. Certes, on est bien en deçà des 76% d’Espagnols, toutes régions confondues, qui ont regardé la rencontre, mais il s’agit d’un chiffre encore inespéré il y a quelques années.